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Après un noir profond dans lequel le silence côtoie le doute et où l’imaginaire ne peut se résoudre à attendre, un homme enfin, en costume de surveillant de prison, entre et balaie le plateau.

Avec une étrange mobilité semblant empruntée à l’apesanteur, le surveillant nettoie ou prépare un espace, on ne sait pas. Est-ce la cour d'une prison, les contours d’une cellule, l’antre d’une messe mortifère ?

Dans une ambiance devenant pesante, lentement l’homme dessine avec son balai des sentiers comme pour nous signaler des passages. Puis progressivement il aplanit le plateau d’un carré parfait. Des sensations inquiétantes et irréelles nous enveloppent et nous font douter si nous rêvons ou pas.

L’arrivée de trois hommes marchant d’un pas ouaté, en file, renforcent la tension qui s’installe alors tout à fait. Ce sont les trois prisonniers, nous le comprenons vite, qui partagent cette cellule.

Dialogues, invectives, regards, attouchements retenus, paroles chuchotées ou criées, parfois si proches du visage que nous ressentons vivement ce mélange de violence et de sensualité qui semblent les habiter tous les trois.

Yeux-Verts, le caïd. Maurice la belle gueule. Lefranc la petite frappe qui veut être un grand malfrat.

Condamné à mort pour son crime, Yeux-Verts y a gagné son statut et le conserve par sa force. Il pose aux pieds de Maurice et Lefranc ce que d’autres laisseraient en héritage. Défiant la Mort comme il a défié le Mal, il dit son vide, son absence de ressentiment comme un déni de ce qui l’attend, comme une confession involontaire du rien qui l’habite.

Maurice et Lefranc vont se battre l’honneur d’être le prochain amour de la future veuve, sublimant ainsi le désir de succéder à Yeux-Verts, le désir de l’aimer encore derrière la vénération et le respect, celui aussi de s’en sentir aimé.

Jean Genet écrit cette pièce en prison en 1942. Publiée et crée en 1949, elle sera remaniée plusieurs fois jusqu’en 1985, version du spectacle présenté aujourd’hui. Il y dresse un portrait complexe de la recherche de l’identité masculine, de la transgression du bien et de la sublimation de la mort. Recherche rendue difficile dans le magma des convictions normatives enfermantes, notamment parmi des prisonniers dépourvus d’instruction suffisante pour mettre en mots ce qu’ils vivent et ressentent vraiment.

Magistralement mis en scène par Cédric Gourmelon, les voix des comédiens portent avant tout, les corps suivent comme des silhouettes fantasmagoriques et glissantes. Les jeux montrent avec une puissance fébrile et lumineuse ces combats pour la reconnaissance de la masculinité qui passent parfois par les frontières d’une sensualité troublée à l’érotisme prégnant.

Pierre-Louis Calixte nous trouble avec son personnage de Surveillant, dont on ne sait s’il est réel ou non. Une présence quasi magique et éthérée aux paroles dites avec une stricte distinction comme un peintre poserait les traits nécessaires pour configurer un dessin.

Jérémy Lopez passe de la colère à la fragilité, de la jalousie à la terreur avec virtuosité. Il nous montre le personnage de Lefranc, ébranlé, meurtri par le doute et l’envie, accablé par ses actes.

Sébastien Pouderoux joue Yeux-Verts, monstrueux de vacuité pour ce qu’il est et ce qu’il a fait, nous troublant de sa présence d’un homme déjà mort avant la mort dont il parle comme d’une suite logique à une promenade, un jour où le temps permet.

Christophe Montenez est Maurice, agressif autant qu'il est fragile et sensuel, attendant de la force physique l'élan d'un ébat amoureux qui ne se dit pas. Une beauté digne et troublée se dégage de son personnage.

Une vague déferlante d’intensité dramatique traverse ce spectacle de haute qualité artistique, nous prenant de bout en bout dans ce merveilleux voyage dans le théâtre poétique et déconcertant de Jean Genet.

 

De Jean Genet. Mise en scène de Cédric Gourmelon. Scénographie de Mathieu Lorry-Dupuy. Costumes de Cidalia Da Costa. Lumières d’Arnaud Lavisse. Assistanat à la mise e scène de Morgann Cantin-Kermarrec.

Avec les comédiens de la Troupe de la Comédie-Française : Pierre-Louis Calixte, Jérémy Lopez, Sébastien Pouderoux et Christophe Montenez.

 


Du mercredi au dimanche à 18h30 jusqu’au 29 octobre

99 rue de Rivoli, Paris 1er

01.44.58.15.15 - www.comedie-francaise.fr

 

 

- Photo © Vincent Pontet, coll. Comédie-Française  -

- Photo © Vincent Pontet, coll. Comédie-Française -

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