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Une merveille de théâtre baroque nous éblouit ici avec cette représentation d’excellence de la pièce de Molière, dans la pure tradition du genre. C’est joyeux, élégant et farouchement drôle. Le burlesque y est lumineux. Voici un pur délice de théâtre.

 

Créée en 1660, cette comédie-farce sautille tout le long sur le thème de l’adultère, la peur d’en être victime et les faux semblants qu’elle déclenche en cascades. Mais elle pose sans ambages les saillies retorses de Molière sur la gent humaine, ses faiblesses et ses roueries.

 

« Martine et Sganarelle sont mariés. Célie et Lélie sont très amoureux. Jusqu’ici, tout va bien, mais…Célie, se croyant délaissée par Lélie, s’évanouit dans les bras de Sganarelle et perd un bijou qui lui vient de son cher et tendre. Martine surprend le couple depuis sa fenêtre, et ramasse le bijou que sa prétendue rivale a perdu. Sganarelle voyant alors l’objet dans les mains de sa femme, lui prête sans tarder une liaison adultère…Le soupçon d’infidélité, tel un virus, contamine un à un tous les personnages de l’intrigue : chacun à son tour devient un ‘‘Cocu imaginaire’’ ».

 

Si le cœur de cible du théâtre de Molière est souvent de jouer et se jouer des apparences, « Mon Dieu ! Le plus souvent l'apparence déçoit. Il ne faut pas toujours juger sur ce qu'on voit. » dira l’illustre auteur dans le Tartuffe, il n’en demeure pas moins que les troubles de la vérité et les affres de la trahison baignent tout autant son œuvre. Et ici, la pièce le démontre habilement.

 

Le parti-pris de la mise en scène de Jean-Denis Monory et Milena Vlach donne à la pièce une allure de texte à tiroirs dans lesquels se trouvent cachés, près à s’extraire en explosant, les figures diverses de l’argument. Images arrêtées, postures inquiétantes ou tendres, tirades drôlissimes et mimiques de colère ou de violence contenues ou non, faites de résistance troublée aux termes impossibles. Nous sommes pris dans les mailles d’un filet où l’onirique du jeu côtoie la crudité du réel, avec sa trivialité et sa décence entremêlées. Un univers qui touche au merveilleux tant sa fantasmagorie y est récurrente et sa démonstration inhabituelle.

 

Apparence, fausses vérités, peurs et affres de la trahison, l’argument regorge de ces sujets mais pas que... Notons que cette « lecture » de la pièce de Molière apporte sa contribution à connaitre ou reconnaître l’essence-même du théâtre, l’honore en le saluant. L’introduction et la conclusion inédites et signifiantes de la pièce mettent savamment et élégamment en sens les différents aspects de son argument. Je vous laisse le découvrir, ne comptez pas sur moi pour « divulgâcher ».

 

La scénographie de Jean-Denis Monory truffe le spectacle d’astuces cocasses et hilarantes qui servent ô combien le coté farce de la pièce. L’ambiance veloutée de l’éclairage simulant une rampe de bougies, le décor qui passe d’un espace qui est peut-être une coulisse de théâtre à des tréteaux de foire, les maquillages sur fond blanc et les masques empruntés à la commedia dell’arte, les costumes clinquants, tout ceci apporte une dimension lunaire, proprement magique, à la représentation. Nous sommes emportés, nous sommes ailleurs.

 

Laurent Charoy, Alexandre Palma Salas, Eleonora Rossi, Milena Vlach offrent des jeux époustouflants de finesse et de fluidité. La déclamation exquise et parfaitement maîtrisée nous plonge dans un autre temps de théâtre, dans un autre espace de la diction. N’empêchant ni la compréhension ni les effets du texte, la parole relève d’une prosodie précise tant scandée que psalmodiée. L’expression gestuelle accompagnant chaque réplique nous fait rencontrer des personnages tout en préciosité ou transfigurés par des pantomimes grimées. Du très bel art. Chapeau bas mesdemoiselles et messieurs !

 

Molière est servi ici avec le respect d’une esthétique dépouillée. Les jeux sont centrés sur le texte et son interaction avec l’auditoire, avec beaucoup d’adresses directes au public et des postures frontales quasi permanentes. Des phrasés aux gestes, des jeux masqués aux silhouettes gesticulant à la manière de la commedia dell’arte... Tous les ingrédients et les secrets du théâtre baroque semblent avoir été réunis.

 

Un spectacle chaleureux, passionnant et magnifique. Une très belle représentation pour découvrir ou retrouver les plaisirs du théâtre baroque, ici particulièrement réussie. J’ai plaisir à recommander vivement ce spectacle.

 

Spectacle vu le 17 janvier 2020,

Frédéric Perez

 

De Molière. Mise en scène de Milena Vlach et Jean-Denis Monory. Scénographie de Jean-Denis Monory. Costumes de Chantal Rousseau. Photos de Katell Itani et Thibaut Lafaye. Orgue de barbarie : Jean-Marc Puigserver.

 

Avec Laurent Charoy, Alexandre Palma Salas, Eleonora Rossi, Milena Vlach.

 

 

Une création de la Compagnie Aigle de sable
Coproduction Théâtre Montansier/Versailles, Théâtre de Fontainebleau

 

Au théâtre l’Épée de bois à la Cartoucherie de Vincennes

du 3 mars au 14 avril

 

 

SGANARELLE OU LE COCU IMAGINAIRE au théâtre Montansier
SGANARELLE OU LE COCU IMAGINAIRE au théâtre Montansier
SGANARELLE OU LE COCU IMAGINAIRE au théâtre Montansier
SGANARELLE OU LE COCU IMAGINAIRE au théâtre Montansier
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