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Après avoir lu le texte de Véro, une consœur blogueuse (sympathique) (même quand elle mange des Curly) au sujet de la critique théâtrale (https://theatrelle.com/2017/08/21/ca-reste-entre-nous/) et avec son accord pour le mentionner, j’ai réfléchi à partir de quelques-unes de ses entrées en matière…

 

« J’assistai il y a quelque temps à un spectacle à la fin duquel l(es)’artiste(s) demandai(en)t, juste après les saluts « Si ça vous a plu, parlez-en autour de vous, sur les réseaux sociaux ! Et si ça ne vous a pas plu, et bien… ça reste entre nous, d’accord ?! »

« Ça reste entre nous ». Expression singulière que je n’ai jamais entendue jusqu’à présent. J’ai plutôt entendu celles du genre « Si vous avez aimé, parlez-en autour de vous, vous êtes notre meilleure publicité ou bien si vous n’avez pas aimé, parlez-en à vos ennemis ou gardez-le pour vous ».

Le problème ainsi posé me semble renvoyer à une attente implicite de complicité de la part des artistes. Effectivement, nous le savons, les comédiens jouent. Comme par ailleurs les enfants jouent. Nous pouvons imaginer sans difficulté qu’à la fin d’un spectacle, l’excitation et la fatigue sont telles que des expressions de ce type (même si elles sont écrites avant les saluts) sortent avec spontanéité ou faiblesse, c’est selon. Des expressions comme celles que des enfants à la fin d’un jeu pourraient dire : « ah c’était bien hein ? » ou « on le dit aux autres pour qu’ils viennent ? ».

Ne s’agirait-il pas du « côté-Enfant » du soi, que l’Analyse Transactionnelle a démontré ? Qui fonctionne à plein chez les artistes ? Ce serait un des ressorts de leur motivation à jouer, un des enjeux défouloirs de leur existence éphémère sur un plateau, chaque soir renouvelée comme une histoire que vit chaque soir un enfant lorsque qu’on lui raconte ou lui lit un passage merveilleux ?

 

« Pourquoi ne devrait-on pas dire que l’on n’a pas aimé un spectacle ? »

Peut-être que la question ne se pose pas fondamentalement ainsi pour les comédiens ? Ils ne jouent pas pour rater leur coup. N’est-il pas normal qu’ils sous-entendent que le spectacle va plaire ? Qu’il est fait pour cela ? Ce qui ne nous empêche pas de réagir bien sûr. Autant toutes et tous le savent, autant certaines et certains l’attendent ! Un fichu jeu d’acteurs, au sens systémique du terme.

 

« …/… je participe d’ailleurs du mieux que je peux à encourager mes proches à aller voir les spectacles que j’ai aimés. »

Et par le sens-même du mot « aimés » ici, nous pouvons concevoir que d’autres personnes pourraient ne pas avoir aimé. La relativité du gout, de l’attente, du désir, des expériences, des expertises ne tient-elle pas une place prépondérante sur l’avis donné ?

 

« En revanche, cet air complice, là, l’air de rien, genre « t’a pas aimé ? Pas grave, mais ne le dis pas à tes amis, tu comprends j’ai besoin de remplir » eh bien moi, ce soir-là, ça m’a tracassée. »

« Tracassée » ? Un terme intéressant dans la complicité sous-entendue qu’il révèle avec celle ou celui qui l’a exprimée. N’y-a-t-il pas, en effet, une complicité entre les comédiens et les spectateurs qui influe sur l’écoute et le désir, donc sur la satisfaction du désir qu’est le plaisir ? Si le plaisir n’est pas atteint, le dilemme de le dire malgré tout, et parce que l’artiste le demande, est contraire à la raison-même de la présence du spectateur dans la salle. Une forme sournoise de sadisme accepté ? Une soumission à l’ordre représenté par le pouvoir de celle ou celui qui parle en public ? Une résistance rebelle à une consigne donnée (notre côté-Enfant) ?

 

« Une soirée donc à environ 120 euros par couple. »

L’argent vient toujours contrarier les échanges !... N’avons-nous pas ici un bel exemple de contrat rompu entre le don et la dette ? (notre côté-Adulte dirait l’Analyse Transactionnelle). Si nous croisons cette approche avec celle du plaisir attendu, le trouble est tel que la dénonciation est justifiée.

 

« C’était mauvais. »

Expression spontanée ou pas, elle nous révèle un jugement. Moral en première acception du terme, devenu technique par l’usage. Le « mauvais » renvoie au Mal et s’oppose au Bien (notre côté-Parent dirait l’Analyse Transactionnelle). Il ne s’agit de toute évidence ni du Mal ni du Bien, ici.

Techniquement, n’y aurait-il pas plutôt l’idée de réussi ou pas ? Mais combien il est difficile de juger d’une réussite en matière artistique (pensons à un tableau par exemple) ? Le jugement n’interroge-t-il alors l’expertise du juge ?

Et s’il s’agissait tout bonnement (!) de dire notre plaisir ressenti ou pas ? sa qualité, son importance, son effet ou son impact ?

 

 « Se fier aux critiques lues çà et là »

Le rôle des critiques est posé ici comme celui d’un garde-fou, d’un ensemble de repères parmi lesquels, comme dans un labyrinthe, nous pourrions trouver notre chemin. La responsabilité de ce qui est écrit est alors proportionnelle à la confiance en celle ou celui qui écrit. De quel écrit s’agit-il ? une opinion ? un avis ? un billet ? une critique ?

Il me semble avoir pu noter à plusieurs reprises ces différences : L’opinion renvoie souvent à une expression singulière vis-à-vis d’un courant de pensée collectif ; l’avis se veut sommatif, il pourrait souvent être précédé d’un « en définitive… » ; le billet atteste d’une humeur peu ou prou favorable mais qui se présente au lecteur toute entière.

La critique, quant à elle, présente un essai d’analyse de spectacle qu’il n’est pas aisé d’émettre. Il s’agirait alors de rassembler plusieurs éléments donnés ou supposés, observables ou ressentis, réels ou imaginés.

Il nous faudrait ainsi passer au crible de l’analyse la contextualisation, la décontextualisation et la recontextualisation du spectacle pour pouvoir le décrire, apposer nos impressions prenant sens dans la démonstration de ce qui les précèdent et prononcer enfin des éléments de conseil.

La contextualisation présenterait le spectacle : l’auteur, l’argument, l’intention dramaturgique, le parti-pris de théâtralité, le sens artistique voulu et sa connotation politique présente ou pas.

La décontextualisation se centrerait sur le passage de la rampe, sur ce qui vient toucher le public au regard de la contextualisation. La comparaison entre le promis et le reçu. L’ouverture de l’antre du désir s’effectuerait alors pour laisser dire s’il y a eu ou non plaisir. Si oui lequel, dans sa qualité comme dans sa quantité.  Et si non, pourquoi, dans la confidence dévoilée peut-être d’une attente inassouvie ou dans l’écart trop important entre la contextualisation et sa représentation.

La difficulté (ou la facilité ?) serait de sombrer ou pas dans la prescription aux allures revanchardes qui nous ferait dire aux artistes ce qu’ils auraient dû faire ! Difficulté qui deviendrait le lit de tout écrit tronqué par une absence d’analyse étayée, propulsé par l’envie (le besoin ?) d’exprimer sa déception, son courroux ou son désenchantement. De dire haut et fort ce que nous aurions voulu voir.

Il y a toutefois et d’évidence des spectacles qui rassemblent trop de difficultés, d’imprécisions, d’erreurs manifestes, de manques ou d’à-peu-près pour que l’ensemble tienne sans trembler au risque de s’écrouler et fasse pas « théâtre » ou si peu. Faudrait-il le souligner à chaque fois ? Pourquoi ajouter l’opprobre à l’effort vain mais valeureux ? N’y va-t-il des spectacles comme des apprentissages qui se composent et se construisent progressivement par des essais et des erreurs ? Au nom de quoi faudrait-il que les spectateurs se transforment en professeurs ? Faire la leçon ? Jouer aux jurés d’un jury de concours ? Le silence peut avoir la vertu du respect pour le travail fourni.

Il va sans dire que je parle ici d’artistes en devenir, de pratiques théâtrales débutantes. Pas de celles et ceux qui ont fait leur preuve par ailleurs et qui peuvent entendre et comprendre que le public n’a pas « suivi » cette fois-ci. Si tant est que ce qui leur ai dit est fondé par une explication circonstanciée et illustrée.

La recontextualisation serait ce temps du conseil. Celui où, somme-toute, l’essentiel dans ce spectacle est dans « cet ou ces aspects-là » et pour « ce ou ces publics-là ». Le cas échéant bien sûr, le résumé des raisons qui ont déçues et à cause desquelles l’auteur de la critique ne recommande pas le spectacle.

Reconnaissons qu’à de très rares exceptions près (voir plus haut), tout n’est pas déplaisant dans un spectacle. Alors qu’il est paradoxalement possible de constater que tout peut être plaisant dans un spectacle tant le désir a été assouvi suffisamment et a gommé au passage les quelques ratés dispersés.

Nous l’avons souvent vécu, le même spectacle/le même jour n’est pas vécu par tous de la même façon. Ne serait-il donc pas raisonnable d’observer que notre subjectivité est la seule vérité réellement objective à nos yeux ? « La seule certitude que j’ai » disait Desproges « c'est d'être dans le doute ».

Frédéric Perez

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