Adaptation libre du célèbre roman de J.D. Salinger « L’Attrape-Cœurs », cette pièce de Bernard-Marie Koltès est écrite en 1977. Comme souvent chez Koltès, l’humour et l’autodérision côtoient la violence et les larmes. La comédie côtoie la tragédie. Une pièce qui se compose d'équilibres permanents de jeux entre distances et engagements, entre propos impudiques ou hallucinés et situations criardes ou abattues.
Le Rouquin vient de se suicider. C’était ça ou son départ à la guerre du Viêt-Nam. Enfant prodige d’une famille nord-américaine dans les normes, comme on en voit au cinéma dans les comédies dramatiques ou dans les magazines vantant « l’American way of life », sa mort va déclencher des ruptures dans la vie de chacun. Sa veuve, sa mère, son père, sa sœur et son frère vont baisser la garde, laisser de côté les codes de la normalité, faire exploser de fureur leurs chagrins, leurs remords, leurs impossibles deuils. Comme si cet être cher perdu était le liant entre eux, la bouée qui les maintenait tous à flot.
Ils vont se disputer sa mémoire. Ils vont le revoir hanter leurs souvenirs. Ils vont chuter dans l’abime de leurs désespoirs. Avec emphase, avec démesure, sans répit de leurs violences, sans rémission de leurs souffrances.
Fragments de textes ou texte fragmenté, une série de tableaux sans lien chronologique, comme des flashbacks qui surgissent ou des désirs de continuer à le voir par illusion. De longs monologues souvent. Pas toujours. Cris passionnels, émotions à fleur de peau, les personnages se ruent pour raconter, haletant souvent, libérant une tension manifeste.
Un très beau texte, onirique, cru et cruel où l’intimité se dévoile, bousculée par les sentiments. Une formidable métaphore de la vie, remplie de doutes, de recherche d’équilibres même instables, au bord du pont, au bord du vide.
Le parti-pris de la mise en scène semble privilégier l’émotion du texte à sa résonance. Les jeux appuyés lui laissent peu de place pour nous surprendre, pour nous parler. Au risque de nous perdre parfois et de nous laisser prendre par des moments d’ennui. Mais peut-être faut-il accepter de rentrer dans cette forme de labyrinthe pour ne pas réfléchir et être bousculés par ces scènes bruyantes et envahissantes d’émotions ?
Le texte est beau, très beau. Koltès a fait du roman une pièce singulière. Il en a dit d’ailleurs : « Tenter de porter sur scène ce drôle d'air qui fait de cette histoire quelque chose de profondément poétique, c'est un beau sujet de spectacle ».
De Bernard-Marie Koltès. Mise en scène de Léa Sananes assistée de Shérone Rey. Décors et lumières d'Arno. Costumes de Mégane Martinel. Musique de Mark Alberts.
Avec Mark Alberts, Claire Devere, Thom Lefevre, Mégane Martinel, Juliette Raynal, Baudouin Sama, Marie Sanson et Gabriel Tamalet.