L’inconscient se terre-t-il donc ainsi pour ne pas combattre ? Une erreur de diagnostic d’un trouble de l’humeur ou du comportement deviendrait alors une porte de prison supplémentaire au blindage de la conscience ?
Sans burin pour l’ouvrir avec violence mais avec le long et douloureux chemin de la reconnaissance d’un traumatisme enfoui, monsieur Louvier va-t-il réussir à s’identifier enfin, à vivre libéré des chaines du passé ?
Le travail psychiatrique et la cure psychanalytique seraient alors bâtons de feu et baguettes de sorcier ? Est-ce à dire que l’acte analytique touche à la magie ? Freud le concède, sauf à préciser qu’il s’agit de « magie lente » (in La Question de l’Analyse Profane).
Confortablement installés dans les fauteuils du théâtre, nous apprenons qu’il s’agit d’une conférence de psychiatres, en présence de la ministre et de sommités publiques. Le conférencier parle de l’erreur de diagnostic et l’illustre avec le cas de monsieur Louvier.
Ah, mais alors que se passe-t-il ? Du trouble de la raison au bouillonnement de l’émotion, le flux devient de plus en plus fort, la marée monte, les flots nous engloutissent peu à peu.
Nous passons de la conférence réaliste (table, ordinateur, tableau de commandes de sons et lumières) à la représentation du réel, sans sentir la bascule. Nous sommes captés, captifs, pris et surpris à chaque instant par ce qui est dit, l’indicible, et par ce qui est évoqué, l’inentendable. Le traumatisme d’un homme profondément meurtri par son oubli de cinq années d’enfance.
Nous assistons à la progression de son aventure identitaire, aux révélations qui surgissent, aux dévoilements qui se mettent à jour, aux doutes qui l’assaillent sur ce qu’il est vraiment. Aux nouveaux combats qu’il lui faudra sans doute mener dans cette réalité nouvelle qui devient la sienne.
Le texte de Denis Lachaud nous prend à la gorge dès les premiers instants. La tension est vive et cruelle. Les mots sont crus tant ils sont véritables.
La mise en scène de Pierre Notte choisit le dépouillement et le réalisme du récit pour nous rendre le plus proche possible de ce que dit Louvier, de ce qu’il est, de ce qu’il devient. Pour nous faire ressentir ce qu’il ressent.
Les jeux de lumière, seuls, nous permettent de nous échapper au risque de symbiose avec le personnage, nous rappelant que nous assistons à la fiction d’un parcours de vie. Nos peurs, nos fantasmes, nos désirs et tout le reste de nous-même que nous ne verbalisons pas, restent protégés et camouflés derrière le quatrième mur.
Benoit Giros joue le conférencier, Monsieur Louvier et le psychiatre-analyste avec une virtuosité stupéfiante. Ses mots frappent fort nos émotions tant ils sont dits avec évidence et simplicité, crédibles et percutants. Ses postures nous impressionnent tout autant. Un beau travail d’interprétation.
Une pièce coup de poing. Un spectacle captivant. Un comédien impressionnant. À ne surtout pas manquer.
Une pièce de Denis Lachaud. Mise en scène de Pierre Notte. Lumières de Eric Schoenzetter. Costume de Sarah Leterrier.
Avec Benoit Giros.
Jusqu’au 15 avril
Du mercredi au samedi à 19h15 et le dimanche à 15h00
94 rue du faubourg du Temple, passage Piver, Paris 11ème
01 48 06 72 34 - www.theatredebelleville.com