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Une femme debout sur un praticable, face à nous, immobile tout le long.

 

D’abord il y a ce très long silence. Une rupture ou une attente de communication. Nous le retrouverons plusieurs fois ce silence, moins long alors, comme des non-dits qui n’osent ou ne peuvent pas tout dévoiler.

 

Puis tout à coup la parole se libère comme on lance une attaque et la femme délivre un monologue impressionnant, dénué de pathos, qui soliloque un désespoir de vivre fulgurant, implacable et définitif.

 

Elle parle, elle crie, elle souffre sans se plaindre. Une descente vertigineuse dans les affres de la conscience à la recherche du moi, de ses fractures, de ses restes.

 

« Je ne savais pas qu’il y avait plus noir que le désir »

 

Elle parle, elle crie, elle s’adresse à elle-même, mêlant sa voix à d’autres, un médecin, un amant, un patient... On ne sait pas, on devine.

 

« Mon amour, mon amour, pourquoi m'as-tu abandonné ? »

 

Elle affronte la réalité dans son évidence la plus sombre et la plus vraie, dans son outrance manifeste. La frontière entre le monde extérieur et le monde intérieur semble floue voire inexistante.

 

« Comment puis-je retourner à la forme maintenant que ma pensée formelle est partie ? »

 

Conscience et démence s’affrontent, se confrontent, se détruisent l’une l’autre jusqu’à brouiller tout à fait les frontières du possible.

 

« Mon esprit est le sujet de ces fragments égarés »

 

Quelle peut être la fin d’un tel parcours où l’absolu est opposé au rien ?

 

« Regardez-moi disparaître

Regardez-moi disparaître

Regardez-moi

Regardez-moi

Regardez »

 

Le texte de cette dernière des cinq pièces de Sarah Kane, écrite quelques temps avant son suicide en 1999, cingle, transperce et touche loin profond. Ses derniers mots nous possèdent longtemps après la fin de la pièce : « S'il vous plaît ouvrez les rideaux ».

 

Théâtre de l’abjection, théâtre coup-de-poing, le théâtre de Kane est rempli de métaphores réalistes, de clairvoyance radicale et d’une poésie de la forme qui le rend captivant, proche et envoutant à la fois. Autrice incontournable du théâtre de l’introspectif lucide, elle écrivit : « le nihilisme est la forme extrême du romantisme » (in LEXI/Textes 3 La Colline).

 

La mise en scène de Christian Benedetti donne toute la puissance au texte par l’épure de sa scénographie, renforçant prodigieusement sa dramaturgie.

 

Hélène Viviès est époustouflante par son interprétation limpide, sans aucune affectation appuyée qui viendrait ternir en l’accentuant la puissance de ce monologue. L’intensité de son jeu fait ressortir l’intériorité de la folie et l’inéluctable fin du chemin mortifère de cette femme, avec finesse et force, justesse et détermination. Très impressionnante comédienne.

 

Une pièce puissante. Une interprétation magistrale. Un spectacle dont on ne sort pas indemne, sans aucun doute mémorable, que je recommande très vivement.

 

Une pièce de Sarah Kane. Traduction de Séverine Magois. Mise en scène de Christian Benedetti assisté de Gaëlle Hermant. Lumières de Dominique Fortin. Régie générale de Cyril Chardonnet.

Avec Hélène Viviès.

 


Du mercredi au samedi à 20h30

16 rue Marcelin Berthelot, Alfortville (94)

01.43.76.86.56 www.theatre-studio.com

 

- Photo © Simon Annand -

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