Cet opéra de Charles Gounod, si décrié à sa création et trop rarement joué par de grandes productions, brille pourtant d’une vive inspiration pour la musique lyrique somptueuse et imposante, et d’un goût marqué pour les mélodies à la sensibilité limpide et attachante. À l’instar de sa fameuse « Marche funèbre d’une marionnette » ou de son célèbre « Ave Maria » sur un prélude de Bach.
Partition lumineuse et profonde à la fois, sans doute liée à sa passion pour la musique religieuse et à son appétence pour les chants populaires, Gounod écrit ici une musique riche, variée et particulièrement bien prévue pour le théâtre lyrique.
Laurence Équilbey à la direction musicale et David Bobée à la mise en scène nous en font un chef d’œuvre d’une puissance éblouissante parsemée de nombreux moments d’une force et d’une pureté délicieuses et rieuses, enchanteresses et majestueuses.
Musique colorée de nuances amples, du piano infiniment doux au forte absolu, aux accents vifs et aux pauses veloutées, aux harmonies simples ou complexes mais toujours impressionnantes et belles, nous sommes pris et surpris d’un bout à l’autre.
Ce conte médiéval germanique, maintes fois remodelé pour complaire aux codes en vigueur selon les cultures du moment et des pays traversés, est travaillé par Gounod dans la version des librettistes Eugène Scribe et Germain Delavigne.
Sur fond de guerre entre deux maisons seigneuriales de Bohème, un ermite qui cherche une union des forces pour les croisades achète la paix en proposant l’alliance par le mariage des enfants des deux seigneurs. L’amour n’est pas posé là où il est attendu.
Heureusement, la mystique s’en mêle. La vengeance de la Nonne sanglante, belle fantôme de minuit, vient empêcher ceux qui s’aiment de s’enfuir pour échapper aux dictats paternels.
Les souffrances, les trahisons, les combats, les ruses et les réconciliations baignées de sang devront se succéder pour une fin que l’on espère heureuse.
Du fantastique au merveilleux, il n’y a qu’un pas que Gounod fait franchir à l’histoire pour nous la conter avec le charme et la maestria qui conviennent. La dramaturgie signée par David Bobée et Laurence Équilbey, grandiose et fascinante, offre par les jeux, les chants et les situations, des sensations troublantes par leur profondeur et captivantes par leur réalisme impressionniste au romantisme abouti.
Les tableaux vivants, ces moments suspendus où l’absence de mouvements prévaut, juste habités par le silence puis le chant, nous laissent cois tant leur magie opère, imprégnée d’une puissante violence et d’une forte beauté.
Les airs donnés en solos impressionnants, en duos savoureux ou en quatuors magnifiques et les parties d’ensemble, nous enveloppent et nous envoutent tout à fait, se mêlant à l’orchestre dont la précision et la finesse des jeux, ses douceurs et ses éclats d’excellence, installent des instants étourdissants, troublants et touchants.
Nous avons été cueillis et ravis par toute la distribution, brillante sans exception. À noter les prestations remarquables du ténor Michael Spyres, de la soprano Jodie Devos et de la basse Jean Teitgen.
Un opéra magnifique dans une théâtralité particulièrement réussie. Des artistes de très grande qualité. Un spectacle de très haute tenue.
Spectacle vu le 2 juin 2018,
Frédéric Perez
Opéra en cinq actes de Charles Gounod. Livret d’Eugène Scribe et Germain Delavigne. Créé à l’Opéra le 18 octobre 1854. Direction musicale de Laurence Equilbey. Mise en scène de David Bobée.
Dramaturgie de David Bobée et Laurence Equilbey. Collaboration artistique de Corinne Meyniel. Décors de David Bobée et Aurélie Lemaignen. Costumes de Alain Blanchot. Lumières de Stéphane Babi Aubert. Vidéo de José Gherrak. Recherches dramaturgiques de Anaëlle Leibovits Quenehen et Catherine Dewitt. Assistant musical et chef de chœur : Christophe Grapperon. Assistante costumes : Camille Lamy. Chef de chant : Nicolaï Maslenko.
Avec : Michael Spyres, Vannina Santoni, Marion Lebègue, André Heyboer, Jodie Devos, Jean Teitgen, Luc Bertin-Hugault, Enguerrand de Hys, Olivia Doray, Pierre-Antoine Chaumien*, Julien Neyer* et Vincent Eveno*. (*du chœur accentus)
Danseurs : Stanislas Briche, Arnaud Chéron, Simon Frenay, Florent Mahoukou, Papythio Matoudidi et Marius Moguiba.
Chœur accentus.
Orchestre Insula orchestra
2, 4, 6, 8, 12 et 14 juin à 20h00. Le dimanche 10 juin à 15h00
Place Boieldieu, Paris 2ème
www.opera-comique.com