Vous allez être surpris. Hier, j’ai rencontré Jean Valjean.
Oui, Valjean en personne. Là, face à moi, face à nous. Oh, ce n’était pas un rêve ou une illusion. Sain de corps et d’esprit j’étais. Et je vous le dis et le répète, c’était bien lui, criant de vérité qui parlait de son histoire et la revivait pour nous.
J’étais assis au premier rang d’un petit théâtre, rempli de spectateurs sur les côtés et derrière moi. Toutes et tous silencieux devant cette incarnation incroyable et saisissante, étourdis par cette puissante humanité qui ressortait de ce comédien exceptionnel, qui nous a touché loin profond et qui nous a marqué, tant tout cela a fait remonter les impressions de lecture oubliée, les émotions retrouvées ou découvertes de cette épopée humaniste.
Un homme face à ses choix de liberté. Pétri de bonté et de justice. Ravagé par ses années de bagne dont il s’est sorti meurtri à jamais.
« De souffrances en souffrances, j’en arrive peu à peu à cette conviction que la vie est une guerre et que dans cette guerre je suis le vaincu. Je n’ai d’autre arme que la haine. Je me résous de l’aiguiser au bagne et l’emporter en m’en allant… »
Un homme qui trouva dans l’affection d’une petite fille qu’il arracha de l’esclavage, la rédemption intime et sociale, peut-être la foi et sans doute la vengeance du mal par le bien. L’aimant comme on aime son enfant ou un ange et l’aidant à devenir une jeune femme heureuse.
Un homme qui mourut heureux, enfin.
« Il dort. Quoique le sort fût pour lui bien étrange,
Il vivait. Il mourût quand il n’eut plus son ange ;
La chose simplement d’elle-même arriva,
Comme la nuit se fait lorsque le jour s’en va »
L’adaptation de Christophe Delessart du texte de Victor Hugo fait le choix de nous montrer l’homme Valjean dans tout son parcours de vie. Nous faisant assister à l’évolution de sa personnalité, à la transformation de sa hargne de l’injustice en compassion pour la faiblesse de ses semblables, jusqu’à se battre pour les sauver. C’est impressionnant, percutant et émouvant.
Par bribes savamment choisies, convoquant quand il le fallait les Thénardier ou Javert ou Fantine pour nous parler. Nous faisant sentir la présence de Cosette comme si elle était là, à ses côtés. C’est riche de sensations, captivant de bout en bout.
La mise en scène soignée de Elsa Saladin permet une théâtralité romanesque réussie. Les mouvements sont crédibles, les postures sont justes, les silences profonds. La lumière de Johanna Dilolo et l’ambiance musicale de Tristan Delessart apportent le velours et l’écrin qui conviennent aux flux et reflux du récit.
La présence inouïe de Christophe Delessart, sa diction impeccable, sa sensibilité chaleureuse, son engagement total et sa profonde conviction pour le personnage de Valjean le rend si proche et si vrai que nous les confondons tous les deux sans effort. La magie opère. Nous avons là un homme de l’art qui sait nous faire vivre le temps d’un temps de théâtre, une merveilleuse et prenante aventure humaniste. Bravo l’artiste et merci pour ce voyage !
Un spectacle exceptionnel, une adaptation des plus réussies et un jeu extraordinaire d’intensité et de vérité. Vous ai-je dit que j’avais rencontré Jean Valjean hier soir ? Courez le voir aussi !
Spectacle vu le 1er septembre 2018,
Frédéric Perez
D’après « Les Misérables » de Victor Hugo. Adaptation et interprétation de Christophe Delessart. Mise en scène de Elsa Saladin. Lumière de Johanna Dilolo. Bande son de Tristan Delessart. Traduction de Perrine Millot.