
« … une fiesta sans paroles avec onomatopées chorales ou soliloques en borborygmes. Fête d’après la noce, quand l’agape tourne au cauchemar : l’ultime moyen de supporter la tragédie, c’est encore d’en rire. »
Mémé, je te le dis, ne va pas voir ce spectacle. Si le club des anciens l’a mis dans son programme, choisis une autre sortie à la place. Tiens, prends donc la visite en autocar des plaines maraichères de Montesson. Je sais, tu l’as déjà fait mais c’était il y a longtemps et avec le réchauffement climatique, les champs ont changé. Et puis, il y aura monsieur Boulicault et ses blagues au micro, qui t'ont tant fait rire.
Non, non, non, ce n’est pas possible que tu ailles voir LE BANQUET, tu vas avoir trop mal à tes souvenirs, tes varices vont saigner et tu vas vomir tellement tu seras touchée. Pourquoi ? Mais parce que c’est sûr, quelqu’un de la famille a tout raconté de sur le mariage de Jean-Jean et Monique ! On s’y croirait tant que même toi tu verrais l’entourloupe ! Madame May a tout piqué je te dis !...
Les engueulades entre les mariés ; la serveuse qu’était pas fute-fute ; le Maurice à qui tout le monde filait des baffes ; la Jeanine et son béguin que c’était une honte ; les jeux de couillon où on voyait les culottes ; les sœurs de Monique qui faisaient leur strip-tease ; Jean-Jean qu’a montré ses fesses ; les discours des uns et des autres qu’on en voyait plus la fin… et puis il y a autre chose. Cela va te rappeler un drame. Mimi, ton chat si cher que tu as perdu pendant cette fête, ils l’ont repris aussi ! Enfin pas tout pareil mais presque ! Ah mais là il y a risque, que dis-je risque, il y a danger !
Quel spectacle !... Après son premier opus, Mathilda May persiste et signe avec celui-ci.
Qui ne reconnaitrait pas les siens ? Qui ne se projetterait pas dans ce pataquès de noces de la catastrophe, dans ce florilège de ratés burlesques, dans ces retrouvailles avec l’enfer de fêtes familiales tellement forcées qu’elles en deviennent pathétiques ? Il y a comme un effet salvateur dans tout ça.
On rit et on rit… Pourtant la vie continue et reprend le dessus nous dit la fin mais ça, il faut la voir pour le croire…
Que cela soit avec OPEN SPACE en 2014 ou ici avec LE BANQUET, les personnages de Mathilda May sont toujours enfermés, prisonniers dans un espace observé. Qui dans une entreprise et qui dans une fête de mariage. Pour mieux les voir sans doute et les surprendre dans leurs relations, dans leur rapport au travail avec OPEN SPACE ou dans leur rapport au bonheur et aux conventions avec LE BANQUET.
Pour mieux nous y voir aussi très certainement. Les coups portés sont violents, agressifs ou subversifs même, ils utilisent l’arme absolue, celle qui ne pardonne pas tant ses touchés sont éclatants, mitraillant toutes les personnes qui se trouvent devant elle, quelque soit leur âge, leur distinction ou leurs oublis, l’arme absolue non inscrite dans la convention de Genève et que le pape n’interdit pas encore... Le rire !
Et qu’il est bon ce rire. Libérateur et partagé, il traverse comme une tornade le public pris par le chaos qui se joue sur le plateau.
Calé au cordeau, joué brillamment, ce spectacle protéiforme fonctionne à merveille et nous cueille. Les gags succulents et ravageurs, les personnages bien campés et hilarants, les situations improbables trempées d’absurdie et de vraisemblance, l’ensemble nous ravit et nous transporte dans cet univers loufoque où la folie se conjugue à la dérision et la déraison au plaisir.
Incontournable moment de spectacle vivant jubilatoire et audacieux.
Spectacle vu le 13 octobre 2018,
Frédéric Perez
Conception et mise en scène de Mathilda May. Assistanat à la mise en scène de Grégory Vouland. Décor de Jacques Voizot. Lumières de Laurent Béal. Son de Guillaume Duguet. Costumes de Valérie Adda. Vidéo de Nathalie Cabrol Assistée de Jérémy Secco. Régie technique de Éric Andriant.
Avec : Sébastien Almar, Roxane Bret, Bernie Collins, Jérémie Covillault, Lee Delong, Stéphanie Djoudi-Guiraudon, Arnaud Maillard, Françoise Miquelis, Ariane Mourier et Tristan Robin.