Tout en verve désopilante, ce spectacle est un bain de plaisirs. Une kyrielle de sourires et de rires ne nous lâche pas. Quant aux fou-rires, ils ne manquent pas, ils explosent. C’est savoureux, nerveux, monstrueux et drôlissime.
Car Agnès Chamak et Odile Huleux nous l’ont joué fine, les fougresses, en chamboulant le texte et en échangeant le genre des rôles. Et ce faisant, sans toucher à la trame et aux répliques saillantes de la pièce originelle. Un joli travail d’entourloupe, une très belle nique à l’ordre des choses qui aurait sans aucun doute amusé Feydeau. La légèreté de cette mascarade ne sert que mieux la frivolité du moralisme moqueur qui s’exprime dans toutes les œuvres du grand maître.
« Pas d’erreur, Feydeau est ici détourné et tous les préjugés sont bousculés. Si Lucien devient Lucienne, si Yvonne devient Yvon alors … ? Alors, ce classique est un objet plein de surprises ! À la femme la nuit d’ivresse, au mari la tenue du foyer. »
Est-ce à dire ou à penser qu’il s’agit là d’une belle revanche à la misogynie prétendue de Feydeau ? Rien n’est moins sûr. Les autrices ont avant tout écrit une pochade burlesque et bienvenue, se gaussant avec le même humour feydeaulien, déjanté ici à l’envi, et donnant à rire du décalage des échanges de rôles, des avanies et des détournements des codes sociaux. Feydeau lui-même n’a-t-il pas fait que ça dans ses peintures de tous et de chacun, hommes ou femmes, aux allures de caricature ?
Comme l’écrit Ewan Pez dans ‘Les sautes d’humour de Georges Feydeau’ : « Du cynisme, de la misanthropie, son théâtre en est plein. On a souvent parlé de sa misogynie, mais chaque personnage dans ses pièces, quels que soient son sexe et sa condition, se pare de ridicules en nombre. À peu près personne n’est sympathique et aimable. »
La surprise est clinquante, les répliques prennent des reliefs inattendus, les situations roulent sur le grotesque d’un burlesque savamment poussé à bout. Les chansons ajoutées apportent leur lot de clins d’œil à l’environnement habituel du public. Le café-théâtre n’est pas loin autant que le théâtre de Feydeau est bien là.
La mise en scène de Odile Huleux donne le rythme nécessaire, truffant les jeux de gags et de postures désopilants. La simplicité des effets fonctionne à merveille et donne à cette comédie légère une efficacité remarquable.
La distribution est alerte, engagée et semble s’amuser autant que nous de cette superbe pièce réaménagée en farce surprenante. Saluons Bertrand Skol dont c’était la première pour cette reprise de rôle, dont le jeu est drôle à point, jouant l’homme au foyer avec vigueur et le fils orphelin avec une désolation hilarante. Philippe d’Avilla campe avec adresse un domestique lymphatique dont les effets font mouche à chaque fois. Kim Koolen joue la sotte sans appui, avec une finesse qui la rend crédible et du coup très drôle. Quant à Agnès Chamak, la vis comica chevillée au corps, elle est tout simplement ahurissante. Une fine équipe ! Chapeau bas !
Un Feydeau revisité avec bonheur. Un spectacle très bien joué, d’un abattage époustouflant. Un moment de théâtre de plaisir à ne pas manquer, que je conseille vivement.
Spectacle vu le 10 juin 2019,
Frédéric Perez
Texte de Agnès Chamak d’après Georges Feydeau. Mise en scène de Odile Huleux.
Avec Philippe d’Avilla, Agnès Chamak, Kim Koolen et Bertrand Skol.
Une dernière avant-première a lieu ce soir
au Café de la Gare !