Une pièce originale dans sa facture, captivante par les détours empruntés et forte de la tension émotionnelle tissée, restituée très habilement en équilibre délicat par le duo d'interprètes.
« Son père a refait sa vie sans elle, il serait peut-être temps de lui pardonner ? Justine n’arrive pas à pardonner à son père d’avoir quitté sa mère pour refaire sa vie avec une autre. Elle va voir un psychiatre qui lui fait imaginer une conversation avec son père puis avec d’autres, qu’elle fait parler tour à tour. Mais à la fin de la séance, une surprise change toute la donne. »
Le sujet de la séparation des deux parents vue et racontée par l'enfant, jeune femme de vingt-deux ans, est ici abordé de manière à la fois personnelle et distancée.
Sujet abordé de manière personnelle tout d’abord pour ce qu'elle charrie des affres de l'intimité. Privée du bonheur stable et quiet des repères confortables et rassurants de son statut d’enfant, Justine pleure sa frustration et crie son désarroi, entre la peur d’une nouvelle vie inconnue qui l'attend et l'angoisse générée par la perte de ses possessions. Incompréhensions et colères, révoltes et abattements se succèdent dans la douleur, sans lien apparent, tout en sens caché.
Arrachée à son enfance et plongée dans le monde de l’adulte qui surgit à sa place, là où elle doit désormais évoluer pour se connaitre, à quel prix devra-t-elle payer sa nouvelle identité ? Et à combien ça s’échange en amour perdu ?
Sujet abordé de manière distancée aussi pour ce qu'elle permet de projections ou d’introjections dans l'imaginaire du spectateur. Imaginaire sollicité à différents niveaux de fiction. Réalisme, fantasme, transfert et mystification : Quelle belle illustration de la double énonciation cathartique nous propose ce théâtre-là !
Le huis-clos permet de serrer au plus près le regard sur les personnages et sur ce qui les opposent ou les relient. Ecoute ou suggestion ? déclaration ou plainte ? culpabilité ou culpabilisation ? jalousie ou caprice ? rivalité ou séparation ? Œdipe n’est pas loin et pointe son nez sans complexe, Déméter non plus avec son mythe de la séparation…
L’écriture de Michel Leviant et Camille Eldessa est riche et fluide, offrant son lot de situations tendues jusqu’à l’extrême, d’émotions rentrées ou extraverties colorant les personnages et les situant dans un antagonisme dramaturgique efficace. La fin en rupture surprend, laissant à la puissance du texte l’adresse de nous avoir emportés et fait vivre moultes sensations.
La mise en scène de Xavier Simonin donne tout le sel et le poivre à ce dialogue intense fait d’écoutes et de rebonds. La mise en espace savamment épurée et la direction de jeux qui relève du travail d’orfèvre renforcent le dépouillement du superflu et apportent un dénuement aux propos rendus totalement crédibles et captivants. L’opposition écoutant/écoutée est superbement traitée.
L’interprétation est brillante. Louise Caillé campe une Justine attachante, troublée et troublante. Un rôle magnifique qu’elle sert avec la précision et la sensibilité, le tonus et la retenue nécessaires pour nous toucher et nous convaincre. Xavier Simonin, tout en maitrise digne et attentive, joue sur le fil ténu de l’écoute active avec une intensité et une sincérité qui attirent l’attention et contribuent à nous tenir en haleine.
Un spectacle étonnant et saisissant où il est bon de se laisser prendre et surprendre. Une mise en scène et une interprétation remarquables. Je recommande cette découverte.
Spectacle vu le 26 octobre 2021
Frédéric Perez
De Michel Leviant et Camille Eldessa. Mise en scène de Xavier Simonin.
Avec Louise Caillé et Xavier Simonin.