Un texte magnifique restitué en fusion totale par un comédien habité. La pièce de Emmanuel Vacca, magistral monologue théâtral touchant et drôle, offre une partition prégnante et captivante à Paolo Crocco, brillantissime comédien. Son interprétation est remarquable, il incarne et vit ce personnage truculent, faisant rebondir ses propos à la sincérité touchante avec une manière de poésie complice et émouvante, espiègle et chaleureuse, tâtant du burlesque autant que de la profondeur des sentiments.
« C’est l’histoire d’Ildebrando Biribò, souffleur de la première représentation mondiale de Cyrano de Bergerac au Théâtre de la Porte Saint Martin. Ce soir-là, le 28 décembre 1897, à la fin de la représentation, on le trouva mort dans son trou. Depuis les limbes de son après-vie, Ildebrando Biribò est tout à son observation du tumulte humain, lorsqu’il voit qu’un auteur du nom d’Emmanuel Vacca s’est mis en tête d’écrire une pièce sur le moment de sa mort… Avec l’autorisation du ’’Grand Manitou’’, il revient sur terre le temps de jouer son personnage et nous livrer ses secrets… »
Quel personnage !... Ildebrando Biribò le souffleur de théâtre, nous parle de son emploi avec la drôlerie d’un saltimbanque de tréteaux. Il nous conte les bonheurs qu’il a croisés en l’exerçant, les heurs et malheurs de sa vie et par le jeu imperturbable du double inversé de la catharsis théâtrale, de la nôtre bien-sûr. Harangueur habile et majestueux qui égrène sa pensée et sa fantaisie dans ses propos (car enfin il parle le souffleur), il crie l’amour de son état et partage le principal, l’illusion et le rêve que le théâtre représente d’essentiel à ses yeux.
La parole de Ildebrando Biribò le souffleur prend les allures d’une déclaration d’amour. Cet homme-là a aimé le théâtre jusqu’à le servir éperdument dans l’ombre de son anonymat. Il est devenu, le temps d’un sablier qui coule et peut-être à jamais, une âme qui hante le ventre des plateaux, flottant aux côtés des « servantes » allumées la nuit et se cachant des éclats des feux pendant les représentations.
Des antres merveilleux des coulisses jusqu’aux dessous de la scène, des caves aux loges jusqu’aux cintres, tels sont ses endroits où il a élu domicile avec vue sur cour et jardin. Et quand Ildebrando Biribò le souffleur parle du théâtre, des artistes et de toutes les « petites mains » qui le constituent, il parle d’or. Sa propre vie se confond avec son activité de souffleur. Du théâtre de sa vie ou de sa vie de théâtre, il évoque avec une précision sérieuse autant que roublarde ceux qu’il a croisés, les enjeux de ce travail qui n’est qu’éphémère et magique, aux paradoxes nombreux et déroutants.
Paolo Crocco joue de très belle façon, tout en maitrise de la voix et du corps, avec une vis comica détonante parfaitement tenue, sans détours excessifs, au service exclusif de l'incarnation de ce texte exemplaire. Sa mise en scène est fluide et astucieuse. La lumière de Luc Dégassart, les costumes de Bernadette Tisseau et Pauline Zurini, la musique de Claudio Del Vecchio et le décor de Claude Pierson contribuent à donner au spectacle une beauté douce, clinquante et intime à la fois, résultat d’une savante et agréable efficacité.
Un spectacle où le rire et l’émotion sont souvent à la croisée des chemins. La rencontre de ce personnage magnifique, joué avec brio, marie le plaisir de douces et pittoresques confidences à un éclatant hommage au théâtre et à la vie. C’est savoureux. Je conseille vivement ce spectacle. Courez-y !
Spectacle vu le 30 novembre 2021
Frédéric Perez
De Texte de Emmanuel Vacca. Collaboration Artistique de Fabio Marra. Mise en scène et interprétation de Paolo Crocco. Lumière de Luc Dégassart. Costumes de Bernadette Tisseau et Pauline Zurini. Composition musicale de Claudio Del Vecchio. Décor de Claude Pierson.
Lundi et mardi à 19h00
78 bis boulevard des Batignolles, Paris 17ème
01.42.93.13.04 www.studiohebertot.com