Je n'ai pas résisté au plaisir de revoir Madame Marguerite ! J'y suis retourné hier soir. Je persiste et signe, ce spectacle est véritablement un petit bonheur d'échappée belle singulière et signifiante. Pour son texte aussi léger que profond qui cingle et grâce à ses émotions nombreuses et variées qu'il charrie. Emilie Chevrillon resplendit dans l'interprétation stupéfiante de cette professeure démente à la monstruosité totalitaire et attachante. Une performance remarquable toute en puissance et en subtilité. Courez-y ! C'est à 21h00 au théâtre de l'Essaïon, les mardis et mercredis.
Mon article de début novembre :
Attention pépite !
Nous voici devant une version particulièrement intéressante de ce texte de Roberto Athayde puisqu’il s’agit de ses propres traduction et adaptation. Pour celles et ceux dont je suis qui ont eu l’occasion, voire la chance, d’assister à plusieurs reprises et depuis des lustres aux élucubrations dantesques de ce personnage désormais mythique de la culture dramaturgique internationale, dans l’adaptation en France de Jean-Loup Dababie, la différence est de taille et modifie la perception de cet ouvrage.
Si nous voyions alors un aspect décapant des travers d’une éducation érigée en préparation à l’obéissance civile aveugle et veule, nous distinguons nettement désormais le propos revendiqué par l’auteur, délibérément plus politique dans la dénonciation de la dictature apparaissant sous la forme métaphorique d’une enseignante démente.
Aurions-nous déjà croisé madame Marguerite dans nos souvenirs d’enfance ou dans nos rêves sadiques voire nos cauchemars d’horreur ? Si voyons… une instit’, il y a longtemps ou il y a peu… ? Pas de souvenir vraiment ? Un oubli peut-être ?… Et pourtant elle est là, devant nous. Profondément ancrée au désir de bien faire, que dis-je de bien faire, de tout faire pour œuvrer à l’éducation de ses élèves au-delà même de leur instruction. Madame Marguerite nous fait partager sa classe comme si nous y étions.
Et là, cela devient épique, incroyable et redoutable ! Elle ose tout pour déglinguer la moindre résistance à obéir. Obéir ! son mot préféré, celui qu’elle choie comme d’autres des doudous, des gris-gris ou des pattes de lapin. Elle dépasse toutes les bornes de la bienséance pour expliquer l’anatomie aux CM2 qui n’ont pas intérêt de broncher car autrement sinon, c’est Waterloo dans la classe ! « viré dans le bureau du directeur dont on ne revient jamais », « le squelette dans le cul du premier qui moufte » ! Ah ça mais, il ne fait pas bon la braver, la brave ! Elle sait ce qui est bon pour ses élèves, elle, et on ne s’y oppose pas !
Le monologue théâtral de Roberto Athayde est explosif, adroitement ciselé et regorge de questions au sujet de ce personnage si souvent joué. Il dépeint pour glorifier les symboles qu’elle véhicule et les montrer crument, une identité des plus complexes chez cette femme qui semble souffrir d’être elle-même.
Qui donc est madame Marguerite ? Une femme transie de peurs rentrées quelle exprime par une outrageante agressivité, une soif de pouvoir et de domination ? Une paumée de la relation sociale qui pense que son statut lui donne une personnalité pour vivre son métier, car le statut fait loi et la loi ça se respecte ? Une combattante de la bienpensance qu’elle façonne à son gré en sortant de sa solitude aux allures de démence ? Un exemple de privation de l’amour ou de frustration de la relation sexuelle inassouvie, ses allusions explicites sont tellement dégradantes pour elle comme pour ses élèves ? Une femme qui cumule toutes les peurs, soumise la religion et haïssant ses élèves tellement elle voudrait les aimer ? La menace à la bouche pour toute explication. Confondant le risque de l’inconnu avec le danger de la peur.
Nous ne pouvons que rire pour la plaindre sans la rejeter, pour ne pas s’horrifier de tout ce qu’elle dit et fait représente. Le texte de Athayde le veut ainsi. Passant du cynique à la crudité, de la drôlerie au tragique, il décrit un personnage devenu sauvage pour se maintenir debout. Un monologue déchirant, émouvant et truffé de décalages qui nous font en accepter l’outrance par l’humour noir, très noir, qui le baigne.
Michel Giès met en scène ce personnage avec une résolue volonté de nous montrer ce qu’il représente, ce qui l’anime, avant de nous le montrer dans ses abus divers, ses incongruités vertigineuses et sa gouaille qui le rend drôle et pathétique à la fois. Le façonnage de madame Marguerite l’enveloppe d’un onirisme marqué par des séquences éthérées dans des courtes chorégraphies inattendues à la joliesse étonnante et des magistrales postures à l’exagération outrancière.
Émilie Chevrillon nous subjugue de sa truculence et de son engagement lumineux dans ce personnage délicat, fragile et fracturé dont le rôle ne doit ni sombrer dans le ridicule ni jouer dans le grand-guignol. Il y a comme une poésie de l’illusion et du désespoir dans ce qu’elle nous restitue. Un très beau travail d’interprétation. Nous le savions pour l’avoir déjà appréciée dans des rôles différents, mademoiselle Chevrillon est véritablement une impressionnante comédienne.
Ce spectacle est un voyage étonnant et bouleversant dans cette nouvelle version de ce texte magnifique, avec ses messages forts et adroitement décalés. Un spectacle drôle et attachant qui ose la peur, l’exagération et la compassion pour un personnage inouï majestueusement interprété. Incontournable !
Spectacle vu le 1 et le 21 novembre 2023
Frédéric Perez
De Roberto Athayde, traduction et adaptation de l’auteur. Mise en scène et scénographie de Michel Giès.
Avec Émilie Chevrillon.
Les mardis et mercredis à 21h00
6 rue Pierre au lard, Paris 4ème
01 42 75 46 42 www.essaion-theatre.com