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Un récit familial troublé et troublant pour un spectacle musical riche et captivant où la musique et la parole se côtoient, se conjuguent et se répondent. Un spectacle traversé par moments d’un humour piquant et salvateur aux côtés d’une force émotionnelle sensible qui court tout le long.
« Le jour où leur grand-mère meurt, Mathilde et son frère Bertrand apprennent qu’elle était en vie, internée pendant plus de trente ans dans un hôpital psychiatrique. Mathilde veut en savoir davantage sur cette aïeule dont elle ne sait rien et va enquêter jusqu’à craindre de se perdre elle-même. Inconsciemment, elle est porteuse des symptômes familiaux, du mensonge, du non-dit, de la folie cachée. Elle veut confronter sa famille pour se sauver. Bertrand, lui, est rivé à son piano, et ne s’exprime qu’à travers lui… Le frère et la sœur se font alors face : que leur reste-t-il de leur histoire familiale ? Comment vont-ils, lui et elle, combler leurs récits manquants ? »
La sœur qui vient en parler à son frère donne à voir de jolis échanges, faits d’opposition, de complicité et de soutien. Des échanges qui vont dévoiler combien les seuils de tolérance pour découvrir ou pour accepter une fracture dans la lignée familiale ont pris des tournures différentes. Les mécanismes de défense déclenchés vont conduire l’un au refoulement dans l’oubli et l’autre à l’affrontement du problème malgré les peurs surgissantes et les dégâts psychiques provoqués.
Secret de famille ou mensonge familial, comment nommer cette meurtrissure cachée, ouverte du temps de la grand-mère, qui se rappelle en souffrance chez la petite-fille et par ricochet chez son frère ainé ?
Si c’est un secret familial dissimulé, cacherait-il un renoncement ou une culpabilité ? Pour préserver quelle image de soi alors ?
Si c’est un mensonge perpétué, sauverait-il les apparences d’une famille de notables établis ? Pour préserver quelle image sociale alors ?
Quelle que soit cette image, la voici qui vole en éclat.
Quel autre monde parallèle peut accueillir les blessures de l’oubli ou de la peine ? La maladie pour son soin ? L’art pour une échappée pérenne ?
L’écriture non chronologique de la pièce se révèle d’une efficacité redoutable et vient renforcer la dimension fictionnelle de cette narration vivante et très incarnée, quand bien même le récit est documenté par des emprunts autobiographiques entremêlés.
La saga des trois générations de femmes, les échanges au sein de la fratrie, l’évolution du discours scientifique sur la charge et la maladie mentales sont illustrés avec une adresse fluide et une structuration dramaturgique bondissante.
L’utilisation de la musique en personnage à part entière est savoureuse. Le refuge de Bertrand dans la musique, là où les souvenirs ne se discutent pas, là où la cache est facile voire confortable. Un refuge dans lequel il accepte de recevoir sa sœur et qui va occasionner des scènes suspendues où les mots deviennent notes, où l’émotion devient chant. C’est superbe.
Les artistes au plateau nous surprennent et nous emportent dans le voyage étonnant de cette histoire familiale prégnante. Benoît Delbecq (par ailleurs excellent pianiste et compositeur) joue Bertrand, fragile et protecteur à la fois. Marie Dompnier est Mathilde, remarquable d’intensité et de variations de jeux. Jan Peters campe un voisin qui survient tout à coup, pour se plaindre et plaindre à son tour, un personnage comme un gage de rapport au réel qui surligne la fiction.
Un spectacle habile qui nous cueille et nous surprend par les rebonds d’un récit familial qui touche et interroge. Un spectacle où la musique occupe une place importante. Pour dire l’oubli, soulager la souffrance ou apaiser le renoncement. Pour survire et pourquoi pas vivre malgré tout. La musique qui elle, aura le dernier mot. Je recommande vivement ce spectacle.
Spectacle vu le 7 mars 2025
Frédéric Perez
Textes Marie Dompnier et Jan Peters. Mise en scène Jan Peters. Musique Benoît Delbecq. Création lumière Fabrice Ollivier. Scénographie François Gauthier-Lafaye. Costumes Brigitte Faur-Perdigou.
Avec Benoît Delbecq, Marie Dompnier et Jan Peters.