/image%2F1888510%2F20250411%2Fob_1bb6da_aff.jpg)
De ce récit écrit en anglais par Samuel Beckett puis traduit par l'auteur lui-même en français en 1980, Christophe Collin fait spectacle. Et quel spectacle !
Comme à son habitude, Christophe Collin sert la langue beckettienne dans une resplendissante représentation animée des mots, des images et des impressions qui courent tout le long jusqu’à nous et nous enveloppent de sensations multiples, intelligibles ou sibyllines. Toutes nous tenant en haleine, soutenant l’attention de bout en bout dans un aréopage poétique et merveilleux de jongleries de sens et d’acrobaties langagières succulentes et rieuses. Un ensemble toujours mis en vie dans une théâtralité impressionnante, envoutante et accessible, qui relève de l’exploit sorcier.
« Une femme hors d’âge habite un cabanon. Là, posé sur la caillasse, dans une lande où rien ne pousse sinon une tombe, où errent quelques moutons et leurs bergers. Tout semble plus grand, plus mystérieux, plus intense à l’œil qui s’y attarde… ’’Le ciel, la terre, et tout le bataclan”. »
Que révèle cette description d'une vieille femme qui semble être en attente, suspendue entre le deuil et la mort ? Voilà tout le récit. Un récit qui se déploie en de courtes scènes, rendant sa visualisation précise quasi impossible. Chez Beckett, le factuel tangible et l’imaginaire sensible, le réel et son « contrepoison », s’opposent et s’embrument sans cesse. Cette poétique complexe nous plonge dans un brouillage contextuel, entre le perçu et le supposé des sensations qui nous assaillent.
Une impression prédomine. Une façon de caisse de résonance de deux voix qui se manifestent pour approcher un corps. Le corps de la femme âgée dépeinte ici. De son corps prend corps le récit de « mal vu mal dit ». Dans son énonciation, nous entendons d'un côté l’expression d'un narrateur et de l’autre celle, plus en distance amusée, d’un commentateur de cette même narration. Le texte parvient à entremêler ces deux discours sans pour autant les amalgamer. C'est au travers du langage des absences, des ombres, du vide et du silence, de l'obscurité et de l'isolement, que l’exposition du texte prend sens.
C'est un peu comme un rêve ou une rêverie éveillée. Un rêve qui reviendrait obstinément hanter une mémoire oubliée, où des répétitions s’amoncellent comme pour pallier ce qui semble être la folie mutique de cette femme. Nombre de variations seraient ainsi exposées d'un même rêve possiblement rédempteur et apaisant.
Christophe Collin signe la mise en scène et l'interprétation.
La mise en scène se révèle d'une précision quasi clinique et met en vie les aspects énigmatiques et poétiques du texte avec un nuancier de couleurs qui s'étend du délicat à l'éclatant. C'est superbe.
La prestation du comédien est exemplaire. Christophe Collin dit et joue Beckett comme s'il écrivait lui-même le texte. Il joue du silence comme de la parole, toujours remplis de sens. La fluidité et l'évidence du jeu sont sidérantes de vérité. Le moindre mot trouve sa place dans un phrasé doux ou puissant. Le moindre geste ou mouvement semble convenir en appui ou en contrepoint du propos ou de la situation sans jamais les alourdir d'une encombrante présence. C'est purement remarquable.
Un spectacle brillant. Une leçon beckettienne. Christophe Collin est à nouveau époustouflant dans cette performance théâtrale. Attention, le spectacle est donné encore aujourd’hui et demain. Courez-y !
Spectacle vu le 10 avril 2025
Frédéric Perez
D’après l’œuvre de Samuel Becket. Mise en scène et jeu de Christophe Collin. Création visuelle de Santiago Bordils. Collaboration artistique de Edouard Bioy, Santiago Bordils, Marjorie Hebrard, Damien Jacob, Nathalie Magnan et David Rosier.