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Un cabaret cassé, bruyamment agité, anarcho-étrange, animé par une troupe semblant de bric et de broc où les artistes sont tour à tour musiciens, bateleurs, comédiens, fantaisistes voire acrobates. Voici comment l'univers de Karl Valentin est ici pris d'assaut par la compagnie Pipo, comme pour se l'approprier à la façon d’un music-hall de branquignoles dans une ambiance qui rappelle les cabarets berlinois si chers à l'auteur.

 

Un cabaret aux relents d’un expressionnisme dadaïste qui convient parfaitement à la poétique pessimiste et redoutablement radicale de Karl Valentin. Un cabaret où rodent de fantomatiques interlopes et de fantasques saltimbanques venus s'y perdre pour surgir tout à coup et nous surprendre tout à fait.

 

Les sketchs ou pièces courtes magnifiques de cet auteur important du début du vingtième siècle, reconnu et admiré par Bertold Brecht, Samuel Beckett (qui dira avoir « beaucoup ri bien tristement » à la lecture des textes de Valentin) ou encore Thomas Mann, troublent et touchent, font sourire et rire, rendent rêveurs et parfois tristes, tant la verve y est délicieuse, crue et cruelle, abattue et sensible, toujours colorée d'un impossible joyeux.

 

Théâtre de « l’à peu près », du « il en manque toujours un bout » ou du « encore raté », le théâtre de Karl Valentin est celui d'un absurde sombre mais drôle, pathétique presque mais toujours profondément festif malgré tout. Un théâtre où le plaisir vibre d’espérance et choit de déconfiture. C'est farfelu, ambigu, incongru, intrusif. C’est extraordinaire.

 

La mise en scène de Sylvie Orcier et Patrick Pineau cherche à reconstituer l'atmosphère des cabarets berlinois, jouant de la vraisemblance jusqu'à l'installation de tables et chaises occupées par des spectateurs devant le plateau, et cultivant une proximité complice avec le public. Le spectacle est enveloppé de nombreuses musiques (à la puissance couvrant parfois les paroles) aux allures de fanfare « de l’à peu près », aux accents circassiens, de jazz manouche ou de piano/voix versus sprechgesang. La déstructuration scénographique donne l’impression d’un spectacle de tréteaux plus souvent que celui d’un cabaret. Pourquoi pas.

 

À l’instar d’artisans revendiqués, les artistes Nicolas Bonnefoy, Nicolas Daussy, Philippe Evrard, Nicolas Gerbaud, Aline Le Berre, Fabien Orcier, Sylvie Orcier, Eliott Pineau, Lauren Pineau Orcier et Franck Séguy, nous offrent un spectacle composite, peu calé dans l'ensemble, où les numéros sont posés bout à bout. Quelques perles brillent parmi ceux-ci, notamment la savoureuse « sortie au théâtre » et la discussion « père et fils » particulièrement réussies.

 

Un spectacle à voir pour le plaisir de découvrir ou de retrouver l’immense Karl Valentin et pour se laisser prendre par ce parti pris volontairement bancale de la représentation de son univers. Quand un « Karl Valentin » passe, on ne peut pas le laisser passer !

 

Spectacle vu le 14 mai 2019,

Frédéric Perez

 

 

Textes tirés des sketches de Karl Valentin. Traduction de Jean-Louis Besson et Jean Jourdheuil (éditions théâtrales). Mise en scène de Sylvie Orcier et Patrick Pineau. Scénographie de Sylvie Orcier. Musique originale et chansons de Nicolas Daussy. Costumes de Charlotte Merlin et Sylvie Orcier. Lumières de Christian Pinaud. Régie lumières de Morgane Rousseau. Régie son de Vincent Bonnet, stagiaire son François Terradot.

 

Avec Nicolas Bonnefoy, Nicolas Daussy, Philippe Evrard, Nicolas Gerbaud, Aline Le Berre, Fabien Orcier, Sylvie Orcier, Eliott Pineau, Lauren Pineau Orcier et Franck Séguy.

 

 

Jusqu’ 9 juin

Du mardi au samedi à 20h00 et le dimanche à 16h00

Route du Champ de Manœuvre, Paris 12ème

01.43.28.36.36 www.la-tempete.fr

 

 

Photo © DR

Photo © DR

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