Un spectacle cocasse et attachant comme on aime. Tout en surprises tendres, en messages d'amour et de protection. Des paroles et des gestes qui tissent en douceur les liens exclusifs entre une mère et son enfant viennent nous chercher au plus profond de nous-mêmes dans une intimité partagée qui devient la nôtre, remuant des sensations vécues ou sublimées et revivifiant la pensée du souvenir.
« C’est la vie qui va entre une mère et son fils, c’est l’enfance sans père, c’est une histoire pleine de fantômes, c’est un théâtre pour de grands enfants qui aiment leur mère. C’est une pièce sur le courage, la résistance à l’adversité. Et ça crie, ça pleure, ça chante, entre rêve et réalité, entre humour et gravité, pour le meilleur de l’humanité, entre tendresse et brutalité. Que devons-nous à nos mères dans ce que nous sommes devenus ? »
Jean-Claude Grumberg nous offre ici encore un bijou de texte, brillant autant que discret, aux abords poétiques et aux allures de fable. Les échanges incongrus et si vrais entre ces deux êtres aimants et attentifs l’un pour l’autre s’inscrivent dans un récit délibérément optimiste, souvent allègre et drôle. Mais un récit qui laisse entrevoir une histoire familiale que l’on devine lourde de dureté, de résistance et de résilience. Les fêlures de la guerre d’hier hantent le présent de son évocation. Les blessures d’aujourd’hui altèrent la quiétude de l’instant, soumis aux aléas agressifs de la vie sociale, des difficultés de la vie quotidienne d’un foyer monoparental qui n’a de richesse que sa formidable aspiration au bonheur.
L’écriture est un délice. Des mots arrangés dans des expressions qui ricochent, des images qui s’envolent de ce nid d’amour pour retomber sur un présent aride, tout est bon pour s’aguerrir et contenir les « poeurs », ne pas « s’énnuier », s’instruire du temps qui passe après celui passé. Que de caresses dans ces mots dits d’amour, que de tendresses dans ces cinq conversations sautillantes sur une complicité affective profonde débordant de questions, de malice et d’inquiétude.
La mise en scène et la scénographie de Noémie Pierre prennent les atours du théâtre de tréteaux, à la manière d’un décor inventif à la joliesse simple, resserrant le jeu des comédiens dans un espace résiduel qui devient essentiel et suffisant pour créer une forte intimité et par là-même une efficace proximité avec le public. Les lumières de Nièves Salzman, de la pénombre au tamisé et au plein feu en passant par les ombres chinoises, enveloppent les situations d’un duvet de velours et d’éclats délicats. La musique de Hugo Vercken apporte à cet univers intime de la légèreté par ses soubresauts rythmiques et de la profondeur par ses mélodies magnant les graves à la manière de mélopées lascives. Une très agréable esthétique d’ensemble.
Et puis il y a l’interprétation. Ou plus précisément l’incarnation de ces deux personnages singuliers. Clotilde Mollet et Hervé Pierre resplendissent de talent, nous le savions déjà mais là, chapeau bas et merci !
Elle et il nous cueillent aussitôt et ne nous lâchent pas. Qu’ils soient l’enfant et la mère ou la mère et l’enfant, nous sommes subjugués par cette forme aboutie de jeu habité. Nous sommes littéralement emportés par cette intensité sereine et implacable des sentiments, cette habileté à manier la langue de Grumberg, cette propension à dégager de l’émotion et la laisser venir jusqu’à nous pour nous envahir. Quelle plongée magnifique dans un récit prégnant bourré d’humour et piqué d’espoir. Une leçon !
Attention, je préviens, ce spectacle est une pépite d’écriture et de façon, porté par deux comédiens impressionnants. Un spectacle mémorable et incontournable que je recommande vivement.
Spectacle vu le 16 avril 2024
Frédéric Perez
De Jean-Claude Grumberg. Mise en scène et scénographie de Noémie Pierre. Lumières de Nièves Salzman. Musique de Hugo Vercken.
Avec Clotilde Mollet et Hervé Pierre.
Les mardis et mercredis jusqu’au 19 juin
https://lascala-paris.fr/programmation/moman-pourquoi-les-mechants-sont-mechants