LA GRANDE MUSIQUE au théâtre La Bruyère

Impressionnant spectacle. Une histoire captivante, prégnante et souvent drôle, aux allures de labyrinthe où il faut se laisser perdre pour s'imprégner, comprendre et ressentir tout ce qui jalonne ce passé familial conté, ses réminiscences et ses révélations.

« D’un bal de mariage à un studio de télévision, de Munich à Mauthausen, six personnages vont essayer de décrypter les secrets de leur drame familial via la psycho-généalogie. Entre le présent et le passé, entre l’Autriche et la France, Marcel, Nelly, Georges, Esther, Pierre et Hervé tentent de réunir les pièces éparses d’un même puzzle.
Et si les traumatismes vécus par nos parents, nos grands-parents, voire nos arrière-grands-parents laissaient une trace sur leur descendance ? Le corps a une mémoire dont on n’a pas toujours conscience. »

Stéphane Guérin est sans aucun doute un auteur à la singularité remarquable. Son écriture noire et drôle, et ses ambiances particulières, forment une suite de pièce en pièce, comme une saga presque, comme une quête peut-être, où les liens affectifs interpersonnels, notamment au sein d’une parentèle ou d’un cercle de proches, semblent peindre une toile surdimensionnée placée devant le public comme un miroir qui le regarde et réfléchit.

Ici, le mythe familial rebondit sur le temps qui passe, sur celui qui est passé. Les uns héritent des troubles des autres, d’aucun s’en débrouille ou s’en cache, certains s’en détachent ou les affrontent. La reproduction intergénérationnelle de traumatismes vécus se fait transmission involontaire, logée d’abord dans l’inconscient puis extraite de la mémoire qui hante.

Tout le long, l'auteur se joue de nos émotions. On ne sait pas, on ne sait plus, quand il faut rire ou pleurer. L’écriture fouillée et habile parsème la pièce de ruptures savoureuses et bienvenues par des saillies dans les répliques et par des rebondissements dans les situations. L'ironie et l'humour s'entremêlent avec l'implacable dureté du récit. Du grand art.

La mise en scène de Salomé Villiers, assistée par Pablo Haziza, se cale au texte en le sublimant par l’alternance adroite d’images suggestives aux reflets oniriques et les situations réalistes nécessaires, parfois brutales, toujours justement orchestrées. L’ensemble est aux couleurs du texte, claires ou veloutées, franches ou troubles. La fluidité maîtrisée des situations stimule en permanence l’attention, le regard et l’écoute du spectateur. De la très belle façon.

Les six comédiens servent leurs personnages et les campent avec une précision et une efficacité saisissantes. L’intensité ou l’humilité, la retenue ou l’engagement, le doute ou la pugnacité, ressortent avec évidence. Hélène Degy est finement et profondément touchante. Raphaëline Goupilleau, toujours magnifique dans sa drôlerie mais aussi très troublante, est remarquable. Pierre Hélie offre une superbe composition. Brice Hillairet se montre tout simplement solaire. Étienne Launay nous est vite complice en témoin attachant. Bernard Malaka est savoureux tant il sait se faire drôle, délicat et élégant.

Ils et elles nous embarquent dans cette histoire dès le début et ne nous lâchent pas. L’émotion n’est jamais loin, le sourire et le rire aussi. De grands et beaux talents réunis qui nous cueillent littéralement.

Un spectacle prégnant, émouvant et drôle. Un texte qui happe le public, une mise en scène qui le sert avec réussite et des comédiens au top. Un conseil ? Un moment de théâtre à ne surtout pas manquer.

Spectacle vu le 18 juin 2021

Frédéric Perez

De Stéphane Guérin. Mise en scène de Salomé Villiers assistée par Pablo Haziza. Collaboration artistique de Frédéric de Brabant. Musique de Raphaël Sanchez. Scénographie de Georges Vauraz. Lumière de Denis Koransky. Décor de Jipanco.

Avec Hélène Degy, Raphaëline Goupilleau, Pierre Hélie, Brice Hillairet, Étienne Launay et Bernard Malaka.