Passion pour le théâtre surtout, pour la "Chose Artistique" en général, nous publions ici nos critiques et partageons des coups de cœur. Dans tous les cas, nous ne parlons que de ce que nous avons aimé. Contact : Frédéric Perez, membre du syndicat professionnel de la critique de théâtre, de musique et de danse.
Ce spectacle est savoureusement diabolique, une LEÇON inouïe autant dramatique que burlesque. On prie pour que ça s’arrête, on se dit « déjà » quand c’est fini.
Eugène Ionesco, maître initiateur du théâtre de l’Absurde, à l’instar de Samuel Beckett, écrit ce texte en 1951. Il est joué depuis sans interruption partout en France, en Navarre et ailleurs.
Il concocte avec cette pièce une histoire cocasse et drôle, où l’autorité se combine au sadisme pour nous confronter à une furieuse et caustique abstraction de normes.
Comment convaincre de la juste prononciation du néo-espagnol moderne, avec toute la précision des sons et la puissance du langage quand le savoir se joue de la logique rieuse, elle-même se gaussant du ricochet des mots ?
Comment faire comprendre à une élève au demeurant charmante, genre ado revêche et pas sotte, que 4-3 ne font surtout pas les dix doigts des mains ou qu’un mal de tête vaut mieux qu’un couteau tranchant ?
Que faudrait-il faire ? Aller chez un professeur savant, au regard lubrique puis halluciné, tyrannique à point ou saignant, c’est selon, et qui entend qu’on l’écoute sans broncher ? Ou bien appeler sa domestique, au mystère trouble et bienveillant, qui fera de son maitre un pleutre ?
Bon couteau, Ionesco ne s’y prend pas comme un manche. On peut même dire sans médire qu’il nous la joue fine lame pour donner cette Leçon., nous perdant cent fois dans des méandres improbables mais possibles, nous récupérant aux passages de phrases crédibles mais incohérentes et de situations hésitant entre jeu et raison. Il s’y prend à merveille, le cruel rebelle de la norme ! Tel un aigle qui suspend son vol pour plonger sur sa proie, il nous piège dans notre imaginaire, enfermés du dehors et livrés en pâture à des sensations vertigineuses où l’incompréhension domine. Mais on s’en fiche, tellement c’est drôle, absurde et élégant à la fois.
Cette leçon très particulière, plus proche d’un manège infernal de la Ducasse un soir de pluie de novembre que d’une promenade en juillet dans le tortillard provençal faisant la côte de Cassis à Bandol, nous emberlificote, nous disperse, nous bouscule parmi tous ces petits riens-à-comprendre et ces presque tout-est-logique qui s’entremêlent et nous emmêlent sans vergogne.
La mise en scène de Christian Schiaretti fait le pari de la simplicité, rendant fluide et accessible la pièce, jusqu’à arriver à nous faire croire que l’histoire est bien là. La rendant presque crédible malgré ses excès de logique et ses abus d’incohérence. Le tout dans un très joli et astucieux décor.
La distribution brille et subjugue. Yves Bressiant (la bonne), Jeanne Brouaye (l’élève) et Réné Loyon (le professeur) se complètent avec précision, chacun d’eux juste et véloce. A noter l‘interprétation magistrale de René Loyon, horrible et pathétique à souhait.
Un spectacle drôle et captivant, incontournable proposition de cette pièce tant jouée, pour sa qualité esthétique et artistique. Mémorable !
Du mardi au dimanche à 19h00 – Cartoucherie de Vincennes – 01.48.08.39.74 – www.epeedebois.com