Cette dernière création de Côme de Bellescize décape avec une malice fracassante les relations dans le monde du travail. L’auteur regarde cet univers aux filtres de la dérision et du rire, d’un onirisme cru et d’un absurde démentiel poussé au délire.
Le texte nous livre des propos saccageurs qui ne peuvent que nous surprendre de leur criante véracité dans cette description des ravages du pouvoir, de ses abus et de ses dégâts, à l'occasion d'un entretien d'embauche pour un poste dans la communication d'une entreprise de javel.
La soumission à un entretien d’embauche, telle qu'elle est montrée ainsi, interroge sur notre rapport au travail, sur la proximité dangereuse de l’espace privé et de l’espace public, sur la confusion entre compétence et performance, entre expertise et créativité, entre conscience professionnelle et engagement personnel.
Rêve ou cauchemar ? Jeu de rôles ou représentation de la vie ? Fable ou pamphlet ? Nous ne sommes pas dupes, il y a de tout cela dans ce réalisme prenant, gênant et troublant où nous pouvons croiser des bribes de nos souvenirs, de nos fantasmes et de nos peurs.
Nous résistons en vain à voir ce qu’il y a de vrai chez cette jeune femme, dans son attente indécente à se livrer tout entière pour son engagement à ce poste. Soumise de la décision, renonçant à sa dignité, elle semble progressivement s’oublier elle-même, sous le joug de la pression cynique et sadique de la directrice. La postulante devenue martyre ira jusqu’à abstraire sa propre personnalité : Plus de sentiment de compétence, plus d’estime de soi, plus d’image de soi. Tout cela est brisé, rompu aux désirs de cette tortionnaire qui ne se voit même plus dans son rôle satanique.
La mise en scène de l’auteur et la direction de jeux rendent crédibles cette incroyable entretien d’embauche, renforçant le réalisme des situations, laissant venir les rires dans les actions ou les répliques qui dépassent le possible entendement. Fin, adroit et bien ficelé, voici du bel ouvrage.
Les comédiennes Éléonore Joncquez et Fannie Outeiro resplendissent. Elles nous cueillent dès le début et ne nous lâchent plus. Elles portent toutes les deux ce texte infernal et déjanté avec une intensité et une sincérité remarquables.
Une pièce étonnante et prenante. Une des belles surprises de la saison.
Texte et mise en scène de Côme de Bellescize. Régie Arnaud Prauly. Lumière Thomas Costerg. Son Lucas Lelièvre. Composition chanson Yannick Paget. Costumes Colombe Lauriot-Prévost. Avec Eléonore Joncquez et Fannie Outeiro.
Du mercredi au samedi à 19h15 et le dimanche à 15h00 (relâches 8 et 17 mars) – 94 rue du faubourg du Temple, Paris 11ème – 01.78.06.72.34 – www.theatredebelleville.com