Un Feydeau des grands jours qui passe « le couple » à la moulinette. Nous rions de bon cœur, parfois au risque de pas entendre la suite, mais que c’est bon et que c’est drôle !
Nous redevenons des enfants et nous regardons avec un amusement délectable ces adultes singer leurs propres vies pour mieux nous en montrer le ridicule, le scabreux et le vain.
Georges Feydeau écrit avec Maurice Desvallières cette pièce créée en 1894 et signe un de ses derniers vaudevilles avant d’entreprendre les comédies de mœurs qui suivront. Nous avons là un art abouti du genre vaudevillesque où le mariage, l’adultère (et le commissaire !) vont exploser en éclats de pataquès et tournebouler les cervelles des personnages comme celles des spectateurs, tellement l’absurde fait rage.
L’argument est simple comme bonjour, ou presque. Madame Paillardin vient se plaindre de son mari chez madame Pinglet, sa voisine ; Il la délaisse, elle ne peut s'y résoudre. Monsieur Pinglet, qui a des vues sur madame Paillardin, lui conseille de faire cocu monsieur Paillardin, son voisin et ami. Mathieu, l'ami des Pinglet débarque avec filles et bagages mais ne peut demeurer chez Pinglet. Victoire, la bonne des Pinglet a des vues sur Maxime, le neveu de Paillardin, qu'elle dépucèlerait bien, mais bon.
Pour des raisons qu’il serait indécent de dévoiler ici et qu’il semble nécessaire de découvrir par soi-même, nous tairons pourquoi le deuxième acte voit débarquer tout ce petit monde, ou presque, à l'Hôtel du Libre-Échange. Ajoutons au tableau que Mathieu est bègue quand il pleut (si, si c’est important) et que le vilebrequin est dans cette pièce un instrument fort utile (ah oui, ça aussi, c’est important) …
Le regard de Feydeau ne baisse pas la garde. Il dépeint sans décrier, en ironisant sans juger, les mondanités machiavéliques et les basses velléités de ses contemporains, benoîts et satisfaits presque repus de leurs grossiers dérapages.
Il fait de l’abattage avec la bêtise humaine sans toutefois la tuer, comme s’il voulait en conserver un peu pour rendre le monde moins triste et toujours rieur.
Le marivaudage se lie d’amitié avec la conjugalité. Les normes sont bousculées et quand elles risquent de fléchir, Feydeau n’hésite pas à les relever, souvent in extremis, de traits hilarants et de situations grotesques dont le burlesque achevé semble déconnecté de la réalité. Cet humour-là dévaste tout sur son passage, au rythme effréné de sa fantaisie gourmande.
Les répliques cinglantes et les scènes incongrues offrent aux artistes toute l’étendue possible pour montrer leur talent. Et la troupe ne s’en prive pas ! Il faut voir les comédiens du Français croquer la pomme à pleine dents, tordre le cou au ridicule des personnages pour qu’ils paraissent présentables et risibles.
Ils jouent de nos émotions comme de leurs rôles et nous craquons. C’est bien simple, soit le public pouffe de rire voire éclate, soit il attend, le sourire aux lèvres, ce qui va arriver car tout peut arriver !
La distribution étincelle. Des scènes dantesques resteront dans nos souvenirs heureux de théâtre. Anne Kessler en digne épouse se liquéfiant et devenant folle à lier d’être prise dans un piège ; Florence Viala, succulente en femme insatisfaite qui s’éprend et se reprend d’un fugace égarement inassouvi ; Michel Vuillermoz, en horrible bourgeois sûr de lui qui devient peureux comme un hamster quand le piège se referme. Christian Hecq en ami truculent, inénarrable de drôlerie dès son arrivée ; Julien Frison réussissant à merveille la transformation du neveu coincé en jeune homme ragaillardi…
Stop ! Tous, ils sont tous brillants. Si cela continue, il faudra les empailler !
Les amoureux de Feydeau y trouveront leur compte. C'est un petit délice pour une grande soirée !
Avec la troupe de la Comédie Française : Thierry Hancisse (en alternance à partir de juillet). Anne Kessler. Bruno Raffaelli. Alain Lenglet, Florence Viala, Jérôme Pouly, Michel Vuillermoz, Bakary Sangaré, Christian Hecq (en alternance à partir de juillet), Laurent Lafitte, Rebecca Marder, Pauline Clément et Julien Frison.
Les comédiens de l'Académie : Marina Cappe,Tristan Cottin, Ji Su Jeong, Amaranta Kun, Pierre Ostoya Magnin et Axel Mandron.
Mise en scène : Isabelle Nanty. Scénographie et costumes : Christian Lacroix. Lumières : Laurent Béal. Arrangements musicaux : Vincent Leterme. Travail chorégraphique : Xavier Legrand. Assistanat à la mise en scène : Stéphanie Leclercq. Assistanat à la scénographie : Philippine Ordinaire.
Voir les jours et les horaires sur le site de la Comédie Française : www.comedie-francaise.fr – Place Colette, Paris 1er – 01.44.58.15.15