Aimer le meilleur ami de son époux tout comme aimer l’épouse de son meilleur ami, est-ce plus trahir l’amour que l’amitié ? Qui trahit qui ? Qui trahit quoi ?
Le récit impressionnant, tout en finesse, dans cette célèbre pièce d’Harold Pinter, écrite en 1978, joue avec une élégance caustique de la déstructuration des relations amoureuses confondues avec les relations amicales, comme pour mieux les observer et les comprendre.
Regards sombres et implacables sur les enjeux de la relation amoureuse, de l'adultère et de la relation amicale. Une relation amicale profonde et vraie, parmi celles qui voisinent souvent avec les attributs de l’amour. Pinter détourne ici les ressorts traditionnels du triangle amoureux et nous dépeint l’histoire de l'époux, de l’épouse et de l’amant, qui savent et qui s’aiment.
L’effet dramaturgique antichronologique raconte l’histoire en remontant dans les souvenirs et les émotions des personnages, nous plaçant face à l’origine du choix de leur rencontre, à sa fragilité et à sa possible improbabilité.
Les répliques à l’humour noir et glaçant entremêlées de silences ; les mots familiers, les formules châtiées, les traits cruels ou crus ; le langage tout entier si particulier de Pinter, riche en ruptures, sert autant l’intensité de l’histoire que la précision scrupuleuse des détails.
Jerry, homme marié, a été l’amant d’Emma, l’épouse de Robert, son meilleur ami. De révélations en retours en arrière, de déclarations d’amour en déclarations d’amitié, les moments charnières et les séquences majeures des trahisons sont dévoilées. Toute en tensions ténues, l’ambiance n’est jamais à la confidence directe mais plutôt aux aveux lâchés au détour d’un échange dans l'intimité, dans un café, au restaurant ou au cours d’un voyage, quasi anodinement, presque par hasard.
Blessés peut-être, meurtris sans doute, touchés certainement, les trois personnages cachent leurs rancœurs ou leurs regrets derrière un apparent détachement mais n’arrivent pas à cacher la passion qui les anime. Trahisons et pardons se confrontent, l’amour comme l’amitié empêchent leur combat.
La mise en scène de Christophe Gand sert le texte avec une fluidité presque légère, restituant dans les scènes la simplicité complice de proches qui se parlent, amis, amants, époux. Les répliques en sont plus fortes, prenant la place centrale qui est la leur chez Pinter.
Nous nous laissons portés par l’histoire ainsi contée comme dans un instant d’évasion pensive proche du rêve éveillé où les moments ne se suivent pas, venant d'une mémoire oubliée qui ressurgit et rebondit de ses nombreux souvenirs.
Les interprétations de Gaëlle Billaut-Danno, François Feroleto et Yannick Laurent sont remarquables. Ils jouent la sincérité et la passion avec ardeur, la blessure avec justesse et le renoncement avec pudeur.
Un Pinter réussi, intelligemment monté dans tout le respect du texte, joué avec excellence. Cette pièce emblématique retient de bout en bout l’attention du public, le touche et le conquiert. Nous en sortons ravis. À voir sans aucune hésitation.
D’Harold Pinter. Mise en scène de Christophe Gand. Scénographie de Goury. Décor de Claire Vaysse. Costumes de Jean-Daniel Villermoz. Lumières d’Alexandre Icovic.
Avec Gaëlle Billaut-Danno, François Feroleto et Yannick Laurent (et Vincent Arfa).
Du mardi au samedi à 19h00 et le dimanche à 16h00
53 rue Notre-Dame-des-Champs, Paris 6ème
01 45.44.57.34 - www.lucernaire.fr