Que faire quand un chagrin sonne à sa porte ? Attention, pas une petite déprime passagère, un soir de privation. Quelque chose qui n'a rien à voir avec les frustrations du quotidien face à des rebuffades et des déceptions aussi sifflantes soient-elles. Non un vrai chagrin, un bon grand chagrin. Celui qu’on voit, qu’on peut toucher, qui pèse de tout son poids. Un chagrin en chair et en os.
Oui que faire ? faut-il l’accueillir ou le repousser ? Ne pas le voir pour ne pas l’affronter ? Peut-on choisir entre le défi ou le déni ? Peut-on vraiment choisir ?
Un beau matin, Pauline se trouve confrontée à cette situation. C’est juste après la rupture avec son mari, le père de ses enfants, celui qu’un amour plus jeune a emporté vers une autre vie. C’est même dès le lendemain matin que le chagrin sonne à la porte de Pauline.
Et quand il se pointe le bougre, beau jeune homme élégant, petite valisette de travail à la main, il est bien là ! Il se glisse sournoisement partout et tout le temps, même si on ne veut pas de lui. Il s’interpose entre le réel et soi, s’infiltre dans les pensées, bouscule et mélange les souvenirs, la perception et l’imaginaire.
Ah il en impose, le malin. Il en dispose, le fourbe. Il expose Pauline aux mille et une turpitudes de l’abandon surprenant, celui qu’on ne voit pas venir, qui fait mal, qui ronge et qui détruit. C’est la catastrophe affective, le drame romanesco-épique, les malheurs de Pauline… !
Oui mais non, car c’est sans compter sur le parti-pris des deux autrices de la pièce, Sophie Forte et Virginie Lemoine qui ont choisi d’en rire et de nous en faire rire. Et que c’est réussi !...
Dès le début de la pièce, le surréalisme prend les commandes, une ambiance drôlissime, élégante et astucieuse remplit les situations de décalages savoureux et inattendus, fournit aux personnages des répliques ciselées, colorées de tendresse et de poésie, bourrées d’un humour cinglant.
La mise en scène de Virginie Lemoine est soignée, précise et inventive. Elle permet aux comédiens de jouer des effets sans desservir le texte et la situation. Il y a du merveilleux et de l’allégresse dans cette vie de Pauline qui s’accroche au courage pour s’empêcher de sombrer tout à fait.
Les comédiens nous éblouissent de leur enthousiasme à défendre cette histoire et la préserver de toute chute dans la tristesse chagrine, nous convaincant des allégories manifestes pour cette ode à la joie de vivre coûte que coûte.
Sophie Forte est Pauline, attachante, émouvante et drôle, un très joli personnage qu’elle nous rend proche comme une amie. William Mesguich (ce soir-là) est stupéfiant dans ses multiples compositions désopilantes et maitrisées : enfant, copine ou médecin comme peur, colère et folie, tout est précis, juste et hilarant. Tchavdar Pentchev compose le personnage du chagrin avec la classe expressive et galante d’un gentleman, oui, un chagrin gentleman. Et on y croit !
Un spectacle aussi inattendu que charmant, à la sympathie chaleureuse et à l’abattage rieur et farouchement efficace. Une très agréable comédie.
De Sophie Forte et Virginie Lemoine. Mise en scène de Virginie Lemoine assistée de Laury André. Décors : Grégoire Lemoine. Lumières : Denis Koransky. Musique : Stéphane Corbin. Design sonore : Sébastien Angel. Chorégraphies : Wilfried Bernard.
Avec Sophie Forte, William Mesguich en alternance avec Pierre-Jean Cherer et Tchavdar Pentchev.
Du mardi au samedi à 21h00, matinée le samedi à 15h30
5 rue La Bruyère, Paris 9ème
01.48.74.76.99 www.theatrelabruyere.com