Un joyeux et brillant spectacle que cette comédie de Corneille, dont l’adaptation truffée de références contemporaines nous cingle de ses propos, éblouit de sa superbe et se moque avec une adresse efficace des abus liberticides du pouvoir, prescriptions parentales et usages sexistes surtout, qui résonnent parfaitement encore aujourd’hui.
Corneille crée cette pièce en 1644, il signe alors sa dernière comédie baroque. L’argument sur le mensonge, les duperies fourbes et les mariages forcés sera légion ensuite dans l’histoire du théâtre baroque et classique, comme chez Molière ou Marivaux.
Dorante arrive de Poitiers, ses études terminées. Tout feu, tout flamme, il veut conquérir Paris. Ne sachant trop comment être, il choisit de paraitre. Ne sachant non plus trop comment s’y prendre, il choisit de prendre au mot son plaisir et ment comme il désire.
Il rencontre aux Tuileries deux jeunes dames. Le déclic ? Le hasard ? Il s’éprend de l’une d’elles, comme on aime ou comme on drague, on ne sait pas encore.
C’est le point de départ d’un imbroglio digne d’une comédie de théâtre ! Dorante, tout en éclats de roueries dans ses apparats et dans ses propos, va mentir de plaisir, sans cesse, s’empêtrant parfois, se rétablissant toujours. Tant pis s’il blesse, s’il déçoit, s’il émeut, ses envies sont besoins et ses besoins, nécessités.
La vérité se joue de la réalité. La fougue aveugle de la jeunesse dorée et l’égo capricieux s’imposent à la loi. La passion d’aimer ou de s’aimer, on ne sait pas, fait exploser les interdits.
L’adaptation et la mise en scène donnent une fraicheur captivante à la pièce, servant le texte avec acuité et espièglerie. Une magnifique scénographie faite de plateaux de miroirs mobiles joue des lumières et des apparences, des regards et des postures, relevant le répliques et les situations, montrant également le public comme si nous nous exposions, nous aussi, au jeu de miroir inversé, à celui du vu et du supposé, du vrai et du faux.
Les nombreuses pointes modernes ne passent pas inaperçues, à l’image du choix de la distribution à la diversité revendiquée. C’est intelligent et admirable et renforce l’expression édifiante de l’universalité du propos théâtral.
La pièce nous parle, nous saisit, nous fait rire et interroge avec truculence et dérision les méandres de la sincérité. Mentir serait ainsi un signe d’appartenance sociale ? Une élégance de bon aloi ? Un tour qu’il faudrait savoir ? Corneille nous désigne sans ambages une morale des plus signifiantes de dénonciation dans la dernière strophe de la pièce, donnée par le valet Cliton :
« Comme en sa propre fourbe un menteur s'embarrasse !
Peu sauraient comme lui s'en tirer avec grâce.
Vous autres qui doutiez s'il en pourrait sortir,
Par un si rare exemple apprenez à mentir »
Un spectacle détonant à plus d’un égard. Drôle et agréable tant il est beau et très bien joué. Incontournable.
Une pièce de Pierre Corneille. Adaptation de Guillaume Cayet et Julia Vidit. Mise en scène de Julia Vidit. Scénographie de Thibaut Fack. Lumière de Nathalie Perrier. Son de Bernard Valléry et Martin Poncet. Costumes de Valérie Ranchoux. Maquillage et perruques de Catherine Saint-Sever.
Avec Joris Avodo, Aurore Déon, Nathalie Kousnetzoff, Adil Laboudi, Barthélémy Meridjen, Lisa Pajon, Karine Pédurand, Jacques Pieiller.
Du mardi au samedi à 20h00 et le dimanche à 16h00
Cartoucherie, route du Champ de Manœuvre, Paris 12ème
01.43.28.36.36 www.la-tempete.fr