
Un spectacle comme une confidence qui nous parle tout près, dans le creux de l’intime, dans nos souvenirs oubliés, ou proche de nos craintes. Un spectacle qui éclate comme une clameur déchirante, joué par un musicien et une comédienne avec l’élégance précise et crue des mots de l’autrice Annie Ernaux. Un spectacle qui nous parle d’une femme et de son état, juste après la séparation avec son amant.
Cette femme, c’est elle, c’est lui, c’est nous. Ce sont tous ces êtres qui se sont aimés et qui, le temps venu des habitudes, des certitudes et de l’accalmie des passions, ne s’aiment plus autant ou plus du tout sans savoir ou pouvoir se le dire vraiment. Alors, le risque est grand de céder la place aux ressentiments, aux rancœurs aigries de la déchirure, d’y penser jusqu’à troubler les actions et obnubiler la vie.
Pour elle, la jalousie survient aussitôt qu’elle apprend qu’il se met en couple avec une autre. La jalousie s’installe jusqu’à l’envahir. Une jalousie qui bouscule tout son être et occupe totalement sa pensée. Comme une compagnie encombrante dont on ne peut se défaire ou un fantôme omniprésent qui ressurgit à chaque fois pour hanter.
Sentiment oublié venu de l’enfance où la peur de ne plus être celle ou celui qui compte avant les autres revient nous faire tourner la tête… Sentiment fort de ne plus posséder l’amour, de ne plus se sentir désiré·e et ce, même si l’on n’aime plus… Ah qu’il est redoutable d’aimer tant il peut être douloureux de ne plus aimer ou être aimé !
Mais quelle est cette jalousie qui explose devant nous ? Ravages de la culpabilité, blessures de la solitude, colères de ne pas savoir qui prend la place, sa place ?
« La jalousie est, comme le deuil, un affect normal. Si elle fait défaut, c’est qu’elle a été l’objet d’un puissant refoulement. Elle joue alors dans l’inconscient un rôle d’autant plus grand » écrivait Freud.
Il est vrai que ces souffrances décrites et vécues ô combien intensément semblent proches de celles qui commencent un deuil. Annoncent-t-elles alors une espérance de résilience ? L’occupation qu’impose cette jalousie serait-elle l’ultime soubresaut d’un amour qui meurt ? Que lui faudra-t-il faire pour terminer ce deuil ? Avec ses armes sans doute et sans ces pleurs et ces cris assurément ?
Pierre Pradinas a soigné la théâtralité du spectacle pour que nous soyons au-delà du roman, dans cet espace particulier de la catharsis de la représentation où les mots, les images, les mouvements et les sons rencontrent notre imaginaire et le laisse nous parler. L’ambiance créée à partir d’images vidéo devient peu à peu enveloppante. La musique sort assez vite de l’écueil du bruitage et vient prendre toute la place pour illustrer et accompagner la force des propos.
Romane Bohringer illumine le plateau de sa présence. Sa parole, son corps et son charisme nous saisissent aussitôt et nous emportent dans ce récit intime et pulsionnel avec toute l’intensité passionnelle d’une femme qui se dévoile pour se délivrer. Une incarnation totale et troublante que la comédienne offre à nos émotions. Du très bel art !
Un prenant et beau temps de théâtre à partir d’un captivant et beau texte, sublimés par une interprétation magistrale. Je recommande vivement.
Spectacle vu le 4 octobre 2018,
Frédéric Perez
Texte d’Annie Ernaux (publié aux éditions Gallimard). Mise en scène de Pierre Pradinas assisté par Aurélien Chaussade et Marie Duliscouët. Musique Originale de Christophe « Disco » Minck. Scénographie de Orazio Trotta et Simon Pradinas. Lumières de Orazio Trotta. Images de Simon Pradinas. Son de Frédéric Bures. Maquillage et coiffure de Catherine Saint-Sever.
Avec Romane Bohringer et Christophe « Disco » Minck.