Désespoir vif et aride d’une réalité sociale qui nous explose au visage, désespoir nourri par une haine profonde de la vie qui s’en va, haine ravageuse retournée contre soi-même… voici le tableau noir et trop vrai de deux filles du Trois et demi.
Elles comme d’autres survivent dans une favela mexicaine. Sans famille, sans emploi, sans repères, sans rien qui ne les empêche de sombrer toujours et encore plus bas.
Un tableau saignant de douleurs à l’humanité, qui place devant nous la misère de celles et ceux qui sont mal nés quelque part, qui ne comprennent pas ou qui comprennent trop cette injustice qui les frappe comme nous frappe à notre tour cette absence cruelle d’égalité du droit de vivre dans la dignité.
Absences de justice, d’éducation et d’amour, sources d’une chute annoncée irrémédiable.
Elle et Elle se soutiennent autant qu’elles taisent ou se jettent à la figure leurs souffrances. Elles contiennent jusqu’au bord de l’explosion la colère qui les mine, se trompant de cible.
« - Il est quelle heure ?
- Tu ne m’écoutes pas.
- J’ai un rendez-vous dans une demi-heure, si tu veux déposer plainte parce que ta vie est une merde, écris-le sur un papier et je le lirai après. »
Avec l’énergie des proies blessées qui fuient leur prédateur, elles parlent comme elles se démènent, avec une agressivité crue et un abatage féroce de gestes et de mots à la finalité vaine.
Une déchéance qui les blesse et qui les conduit aux limites du possible, dans le nihilisme de celles et ceux qui ne croient plus au bonheur. Réfugiées dans la drogue, happées par la prostitution, touchées par l’abandon de toute socialité normée, elles se butent sans arrêt sur les refus, se confrontent sans cesse au danger. Jusqu’où pourront-elles tenir ainsi ?
Nous sommes les témoins de ces propos et de ces situations hurlant leur malheur. Paradoxalement, nous rions souvent, pris par ce trop-plein de hargne montrée avec l’humour de la dérision. À n’en pas douter, des larmes se cachent derrière nos sourires et nos rires.
La pièce de Luis E. Gutiérrez Ortíz Monasterio, écrivain mexicain contemporain, brosse dans une dramaturgie redoutablement efficace la douloureuse et vraisemblable vie paumée de ces filles qui sont pauvres de tout. Le texte est ciselé, les répliques fusent adroitement. Les messages portés par le texte sont ceux que les faits nous donnent. L’auteur, et c’est subtilement percutant, ne fait pas de leçon de morale. Il présente des situations et des propos qu’il nous revient de comprendre.
La mise en scène de David Le Rheun le rend magistralement bien. De toutes évidences, Le Rheum soigne le travail sur le texte et le fait prévaloir aux effets visuels ou sonores qui ne sont ici que des éléments du cadre de vie des personnages. Une superbe direction d’actrices qui échappe à la moindre caricature, renforçant adroitement la puissance du récit.
Les comédiennes Perrine Dauger et Marjorie de Larquier (ce soir-là) sont tout simplement grandioses d’intensité et de sensibilité. L’une comme l’autre sont époustouflantes de vérité. Un magnifique travail d’incarnation réussie des personnages. Elles font mal à l’âme tellement elles « sont » ces filles. Elles nous cueillent et ne nous lâchent pas. Si c'était une bataille, nous serions touchés-coulés. Une très belle performance d’actrices.
Du théâtre intelligent comme on l’aime. Une mise en vie et une interprétation splendides. Un spectacle touchant, agréable et nécessaire que je conseille vivement.
Spectacle vu le 27 novembre 2018,
Frédéric Perez
De Luis E. Gutiérrez Ortíz Monasterio (texte publié aux éditions Le Miroir qui fume). Mise en scène de David Le Rheun. Lumières de Sébastien Sidaner. Son de Rym Debbarh-Mounir.
Avec Perrine Dauger et Laure Portier en alternance avec Marjorie de Larquier.