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« Tu ne sais plus qui tu es, qui tu as été, tu sais que tu as joué, tu ne sais plus ce que tu as joué, ce que tu joues, tu joues…  Tu es la comédienne de théâtre, la splendeur de l'âge du monde, son accomplissement, l'immensité de sa dernière délivrance. Tu as tout oublié sauf Savannah, Savannah Bay. Savannah Bay c'est toi… » Extrait du préambule de Marguerite Duras.

 

Est-ce une légende, est-ce un vrai récit de vie ? La vraisemblance semble se mélanger aux faux-semblants, l’improbable au témoignage, les souvenirs à l'oubli ou à leur création. Une jeune femme et une femme plus âgée confrontent leurs paroles. L’une cherche à comprendre ou construire un passé, le sien peut-être. L'autre se bute à sa mémoire floutée, à une forme d'amnésie baignée de flashs ou de désirs.

 

La plus jeune (pétillante et touchante Anne Frèches) prend soin de la plus âgée (impressionnante et tout aussi touchante Michèle Simonnet). Presque comme on prend soin d’un enfant, la berçant de douceur, l’encourageant à parler. La plus âgée, celle-là même qui a été comédienne et qui est aujourd'hui à la splendeur de l'âge du monde, se laisse prendre au jeu en le nourrissant par touches, en le refusant aussi, se retire parfois dans son trouble, s’emballe dans la colère ou l’enthousiasme.

 

Passé retourné, passé inventé, les douleurs sont les mêmes quand il s'agit d'amour. La pièce nous emporte dans un tourbillon incessant où l'histoire se meut de répétitions par brides, inlassablement quasi compulsivement, pour mieux là dessiner ou pour mieux l'enfouir. On ne sait pas, on ne saura pas.

 

La mise en scène sobre et efficace de Christophe Thierry fait le choix d'inventer un troisième personnage, celui du musicien (Renan Richard-Kobel), aux côtés des deux femmes au dialogue doux ou brûlant. Un choix qui impose un tiers dans ce récit à deux. Pourquoi pas. Même si la puissance instrumentale couvre trop souvent les jeux : la guitare « forte » près des deux comédiennes ou bien la guitare en off plus le saxophone « forte » en direct au même endroit.

 

La chanson emblématique de la pièce « les mots d'amour » d'Édith Piaf est chantée par Anne Frèches. L'émotion se fait proche. Le cri d'amour des paroles, la peur de sa perte, les pleurs de son manque attendu, renforcent le trouble persistant de la pièce. Une valse-hésitation tragique entre la vérité et le fantasme.

 

Complainte d'une vieille comédienne qui ne se souvient plus très bien et quête identitaire d'une jeune femme qui voudrait enfin savoir ou pouvoir inventer qui elle est, se mélangent, se traversent, s'entrelacent. Et nous cueillent.

 

Anne Frèches et Michèle Simonnet donnent une intensité attachante et remarquable à leurs personnages. Nous y croyons. Nous y sommes.  Elles parviennent à nous envelopper du doute dans ce rêve étrange aux allures de conte qui n’en est peut-être pas un.

 

Un spectacle où l'on retrouve la musicalité et la singularité de la langue de Duras pleinement habitée par le jeu des comédiennes. Savoureux.

 

Spectacle vu le 1 mars 2019,

Frédéric Perez

 

 

De Marguerite Duras. Mise en scène et scénographie de Christophe Thiry. Arrangements musicaux de Renan Richard-Kobel. Assistance à la mise en scène de Koso Morina. Costumes de Annamaria di Mambro. Maquillage de Sandra Look. Lumière de Cyril David.

Avec Anne Frèches, Renan Richard-Kobel et Michèle Simonnet.

Jusqu’au 24 mars
Du mardi au samedi à 19h00 et le dimanche à 16h00
53 rue Notre-Dame-des-Champs, Paris 6ème
01.45.44.57.34 www.lucernaire.fr
Photo © DR

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