Un agréable spectacle musical qui dénonce avec adresse et vigueur la condition des femmes, en commençant par la prostitution et les maisons closes. C’est très joliment fait, drôle et sombre à la fois, piqué d’humour et de tendresse.
« 1946. Juste avant la fermeture des maisons closes. Un monde se ferme, celui d’Yvonne, la tenancière. Momo le souteneur va tout faire pour récupérer le cheptel des « Belles de nuit ». Mais quel monde va s’ouvrir ? Marthe Richard, l’ex-prostituée, la repentie, la bigote ne vend-elle pas son âme au diable en condamnant les bordels ? Qui punit-elle vraiment ? Les prostituées ? Leurs clients ? Son passé ? L’hypocrite ! La vie sera-t-elle moins pute avec les femmes de petites vertus ? »
Le livret de Bénédicte Charpiat et Jonathan Kerr tisse une histoire de femmes meurtries, d’amours empêchés, d’espérances trahies. Yvonne, Jeanne, Lucienne ou Jacote nous racontent leurs vies en chantant souvent, sans doute pour parsemer de poésie leur état.
Destins prescrits, destins brisés, que deviendront-elles enfin ?
Un spectacle qui derrière la légèreté à laquelle on peut s’attendre interroge plus généralement la question de la condition féminine et des violences faites aux femmes. Question qui résonne encore et toujours aujourd'hui, et qui nous interpelle. D’hier à demain, la seconde moitié de l’humanité est-elle vouée à être le jouet perpétuel d'un machisme dominant ? Bafouant la plus évidente des libertés : l’égalité de droit. Un principe simple et pourtant bousculé, détourné, brimé.
L'égalité des droits et des chances demeurera-t-elle longtemps un vœu, une croyance, une idée ? Quand le jour se lèvera-t-il donc ?
La mise en scène de Jonathan Kerr est précise et efficace. Elle fait apparaitre la crudité et la cruauté des situations comme la quête farouche de joies de vivre et de parts de bonheur des personnages féminins. Les parties de chant polyphonique, arrangées par Benoît Urbain, sont savoureuses.
Les deux rôles masculins sont superbement tenus. Jonathan Kerr (Momo) joue tout en violence fourbe et dominante. Benoît Urbain (Amédée, le narrateur et le pianiste-accordéoniste de la maison) donne la touche d’humanité nécessaire, apportant l’affect et la poésie. À noter le plaisir que nous avons à le retrouver, aussi bon comédien que chanteur et toujours l’excellent musicien que nous apprécions à nouveau. Les rôles féminins ne sont pas en reste, ô combien ! Bénédicte Charpiat, Roxane Le Texier, Audrey Rousseau et Sarah Tullamore (ce jour-là) montrent des jeux engagés et fougueux, teintés de sensibilité.
La troupe est alerte, toutes et tous se révèlent de fichus bons comédiens. Même si les voix ne s’accordent pas tout à fait entre pleines voix et voix chantées, certains chants sont superbement donnés. La musique instrumentale, de belle tenue, est brillante et contribue pour beaucoup à la réussite du spectacle.
Un spectacle intelligent, touchant et chaleureux. Une esthétique d’ensemble simple et soignée. Un joli et bon moment de théâtre musical.
Spectacle vu le 13 avril 2019,
Frédéric Perez
Livret de Bénédicte Charpiat et Jonathan Kerr. Lyrics, musique et mise en scène de Jonathan Kerr. Arrangement des chœurs par Benoît Urbain. Chorégraphies de Martin Matthias Ysebaert. Lumières d’Antonio de Carvalho. Perruques, coiffure et maquillage d’Audrey Broca. Costumes de Sylvain Rigault. Décors de Jonathan Kerr et Juan Carlos Soler. Assistanat à la mise en scène par Guillaume Delvingt.
Avec Bénédicte Charpiat, Gwenaëlle Chouquet Ou Sarah Tullamore, Jonathan Kerr, Roxane Le Texier, Audrey Rousseau et Benoît Urbain.
Du jeudi au samedi à 21h30 et le samedi à 17h00
17 rue de Trévise, Paris 9ème
01 42 64 49 40