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Ce spectacle relève de l'excellence. Du parti pris au plus petit détail, tout est là pour faire de ces deux comédies en un acte de Tchékhov une explosion burlesque et une mitraillade de rires. Les accents de farce, proches du théâtre de l’absurde avant l’heure, sont servis par une interprétation drôlissime qui révèle, mine de rien, toutes les nuances du texte. Une pure merveille. Une belle réussite.

 

Écrites au début de son œuvre, les deux pièces LA DEMANDE EN MARIAGE et L’OURS, que Tchékhov appelle des plaisanteries, dessinent déjà les contours d’une peinture fine des relations sociales et d’une dénonciation quasi satirique de la société matérialiste.

 

Dans ces deux opus, les personnages, et c’est tout l’art de Tchékhov, sont loin d’être dénués d’ambiguïté. Car derrière leurs obsessions de quête et de préservation de biens matériels, qui les rongent et qu’ils expulsent toujours d’abord, elle et ils voudraient bien pourtant croire à l’amour, s’y laisser prendre et surprendre.

 

Tchékhov décrit des rôles bien campés, basés sur les difficultés de consensus, de maitrise de soi, de confier aux mots le soin des maux, chez cette querelleuse et ces deux querelleurs invétérés. La place des femmes, désignées avec ironie comme « ces créatures poétiques » qui souhaitent l’égalité mais qui se donnent parfois des airs de ne pas y toucher, est posée au centre des relations de chaque trio, interrogeant leur statut et montrant leur force. Le tout est tissé dans une farce qui est et demeure slave avant tout où l’excès prédomine, de l’abattement à la fulgurance des sentiments et des éclats.

 

Chaque personnage a une saveur en soi. Chaque personnage est binaire. Les émotions antagonistes s’alternent, le bien et le mal cohabitent. Les frontières de leur personnalité sont minces et l’équilibre est précaire, la paix ou la folie ne sont jamais loin l’une de l’autre.

 

La mise en scène de Jean-Louis Benoit n’a pas froid aux yeux. Toute la férocité des textes est brossée sur un rythme alerte et soutenu. L’impulsivité des personnages est propulsée avec une violence débridée, un jusqu’au boutisme accompli. Leurs renoncements et leurs apitoiements sont dans la même mesure, tout entier. Le décor de Jean Hass et le choix des accessoires sont soignés et participent au décalage de ce délire ambiant.

 

La distribution est magnifique. Une pêche d’enfer dans la rouerie espiègle, le maniérisme veule et les explosions de colère. Émeline Bayart joue avec superbe, une drôlerie irrésistible se dégage de son jeu, elle jongle avec les états de ses personnages avec une adresse inouïe et une efficacité redoutable. Manuel Le Lièvre montre une palette de jeux aussi impressionnante que ses deux partenaires, de l’excitation au désespoir, de l’outrance à la soumission, il participe à l’abattage, il est désopilant.  Et puis il y a Jean-Paul Farré, le virtuose et stupéfiant Jean-Paul Farré. Jean-Paul Farré est fou, on s’en doutait un peu mais là c’est sûr. Arriver à jouer ainsi des contraires, une telle vis-comica accrochée au corps nous tirant des éclats de rire tout le long, sans cela, ce n’est pas possible. Il nous « balade » sans vergogne le bougre ! Que c’est bon !

 

Le public est cueilli à chaque moment, les sourires ne désemparent pas, les rires fusent. Le décalage occasionné par ces fous à lier lâchés ainsi, tous très attachants, nous plonge entre vraisemblance et imaginaire, dans un rêve éveillé hilarant et succulent.

 

Un incontournable et magnifique spectacle, pour le plaisir de retrouver ou de découvrir ces deux chefs d'œuvre comiques de Tchékhov. Une mise en scène époustouflante. Une interprétation irrésistible. Un conseil ? Courez-y !

 

Spectacle vu le 19 avril 2019,

Frédéric Perez

 

Deux pièces en un acte de Anton Tchékhov. Traduction de André Markowicz et Françoise Morvan (éditions Acte Sud). Mise en scène de Jean-Louis Benoit assisté par Antony Cochin. Décor de Jean Haas. Costumes de Frédéric Olivier. Lumières de François Loiseau.

 

Avec Emeline Bayart, Jean-Paul Farré Manuel Le Lièvre.

 

Jusqu’au 14 juillet

Relâches les 26 mai et 4 juillet

Du mardi au samedi à 19h00 et le dimanche à 17h30

75 boulevard du Montparnasse, Paris 6ème

01.45.44.50.21 www.theatredepoche-montparnasse.com

 

 

Photo © Victor Tonelli

Photo © Victor Tonelli

Photo © Victor Tonelli

Photo © Victor Tonelli

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