
Un spectacle coup de poing dont on sort groggy. Impressionnant tant par la crudité digne du témoignage sublimé par la fiction, que par son interprétation époustouflante de délicatesse et de fulgurance entremêlées. Les émotions nous atteignent peu à peu, on ne voit rien venir.
Une pièce forte comme le sont ces récits de vie qui mènent combat contre la souffrance d’un être cher, contre la peur de l’abandon de celles et ceux qu’on aime et qui aiment, pour atteindre l’ultime raison de vivre, celle de choisir de partir, de ne plus survivre inutilement.
Un texte puissant tant il transcende les valeurs morales prescrites et les normes sociales dictées par une société qui confond droits et devoirs en oubliant l’intime. En oubliant le pudique et les liens affectifs. En oubliant l’amour.
Un spectacle magnifique pour ce qu’il montre avec simplicité, humour et intelligence, dans ce qui se joue alors entre deux personnes qui s’aiment et qui décident d’établir ensemble un dernier pacte d’amour.
Un spectacle fort, très fort et magnifique mais un spectacle avant tout.
Sans plaidoyer indécent ou leçon de philosophie racoleuse, l’autrice a écrit le texte en pensant à ces deux comédiennes. La théâtralité de ce sujet si brûlant opère avec finesse, élégance et un pur brio. Sans appui ni effet inutile, sans pathos inconvenant.
Laure était infirmière avant de rencontrer Guillaume, l’amour de sa vie. Il est mort subitement. Elle vient parler régulièrement sur sa tombe, elle lui parle souvent et partout d’ailleurs, l’entend lui répondre même. Léa la surprend au cimetière et engage la conversation. Léa est ethnologue, spécialisée dans les rites funéraires.
Pourquoi est-elle là ? Pourquoi revient-elle si souvent ?
Laure, toute à sa solitude, vivant au passé. Et Léa, toute à sa fougue et à son audace, vivant au présent. Elles se rencontrent finalement vraiment et deviennent amies.
Que vont-elles se dire ? Que nous disent-elles dans leurs propos ? De quoi cette relation sera-t-elle ponctuée ?
Le texte de Danielle Mathieu-Bouillon est impertinent et courageux. Nous touchons tout près un aspect essentiel de la vie : notre rapport à la mort. Nous interrogeons sans détour le droit de mourir.
Ce droit de mourir qui pose tant et tant de questions, n’est-il pas avant tout un droit de liberté ? Ne se conjugue-t-il pas alors avec un droit de créance ? « Droit de mourir et devoir d’aider » ?
Les répliques et les situations nous conduisent à penser sans insistance lourde ou insolente. À réfléchir si, comme l’historienne de la médecine Armelle Debru l’indique dans ses travaux sur ce sujet, le 21ème siècle sera celui de la « mort réappropriée ».
La mise en scène de Marie Broche est finement épurée et ressert la relation entre les personnages tout en éclairant leurs récits singuliers qui se rejoignent. Notre attention est captée avec force sur les personnages et sur ce qui est délivré.
Les indications de jeu favorisent le tissage de la relation et le développement des situations avec la fluidité et l'aisance qui conviennent. L’importance des propos et des situations se colorent d’humanité. L’humour et la peine comme la joie et la détermination se côtoient comme dans la vie. Il y a une vraisemblance prégnante et propice à l’identification dans la façon dont le texte est joué. L'émotion nous emporte.
Les sensations que ces deux grandes dames du théâtre font ressortir de leurs personnages nous touchent à chaque instant. La scène d’exposition jouée par Bérengère Dautun comme le monologue final de Sylvia Roux sont deux beaux et exemplaires moments de théâtre. À fleur de mots, à force de discrétion ou d'éclats dans les regards et les postures, elles nous offrent ici une partition difficile qui subjugue par leur efficacité et leur envoûtante présence.
Bérengère Dautun est Laure, toute en douceur et délicatesse, farouche dans sa redoutable combativité. Sylvia Roux est Léa, brillante dans la fougue imposante et la fragilité perceptible de son personnage trouble et troublé. Deux interprétations vibrantes et complémentaires. Impressionnantes comédiennes. Chapeau bas, mesdemoiselles !
Un spectacle poignant et agréable à la fois. Une pièce digne et nécessaire. Une mise en scène tout en finesse. Une interprétation magistrale. Un incontournable du festival. Courez-y !
Spectacle vu pour la 2ème fois le 15 juillet,
Frédéric Perez
De Danielle Mathieu-Bouillon. Mise en scène de Marie Broche. Lumières de Robin Laporte. Son de Michel Winogradoff. Costumes de Nine Vergès.
Avec Bérengère Dautun et Sylvia Roux.