Il y a comme un climat envoûtant, un ravissement particulier, délicat et tonique à la fois, dans cette présentation de la pièce mythique d’Edmond Rostand. Une forme inattendue au panache audacieux traverse ce texte fabuleux et cette restitution totalement appropriée. Une poétique éclatante, à la douceur palpable entremêlée de fureurs lumineuses et truculentes, ressort de ce spectacle. C’est vif, enlevé et joyeux, mais c’est aussi tendre et émouvant.
« Le Théâtre Les Pieds Nus a voulu revisiter l’histoire à sa manière ; parce que nous pensons que changer de point de vue c’est parfois révéler. À ce que nous connaissons par cœur il faut de l’inédit. Comme en son temps, nous avons éclairé la scène uniquement aux bougies. Des masques atypiques, des costumes colorés et un plateau vide parsemé de lampions complètent notre peinture. Tout a été dit, montré, monté. Vraiment ?... Et si c'était joué par 3 femmes... ? Cyrano aurait adoré. »
De l’étonnement à l’attraction, nous sommes pris et surpris par ce que nous voyons et entendons, par ce que nous ressentons. L’imaginaire est envahi d’images veloutées aux éclats merveilleux, baigné de voix portées aux déclamations justes, de postures et de mouvements qui se conjuguent. Entre narrations et jeux, pantomimes et danses, chants et mélopées, les scènes emblématiques de la pièce originale sont préservées et données avec une espièglerie charmante ou une magnificence complice, toujours teintée d’élégance.
La richesse de la mise en scène de Bastien Ossard, particulièrement soignée, offre une partition subtile et inédite. Les emprunts au théâtre baroque et aux théâtres orientaux structurent la dramaturgie et la scénographie. Le jeu frontal, les masques, le maquillage comme l’épure de l’espace de jeu et sa symbolique éclairé à la bougie, donnent à la parole et à la gestuelle une beauté remarquable et un impact manifeste. La diversité éblouissante et la puissance de feu de l’interprétation ainsi dirigée apportent une force incroyable au récit-légende de cet illustre héros solitaire. Montrant, entre tradition et modernité, tout le romantisme et la truculence de son épopée.
Les trois comédiennes Iana-Serena de Freitas, Lucie Delpierre et Nataly Florez (ce soir-là) sont resplendissantes. Elles se partagent les personnages sans exclusivité avec une maîtrise saisissante dans les nuances de jeu et l’intensité des sentiments. Nous sommes pris dans un tourbillon troublant et délicieux que seule la magie du théâtre parvient à faire ressentir. Elles jaillissent, se tordent de colère ou de douleur, s’amusent avec le public, se font lascives ou redoutables. Elles sont mille sur scène, ou peut-être cent ou bien dix. On ne sait pas, on ne sait plus qui joue Cyrano, Roxane, Christian et les autres. Chapeau bas, mesdemoiselles. Tout ceci est impressionnant et beau.
Un spectacle brillant et savoureux aux parfums enveloppants. Une formidable interprétation. Un moment mémorable pour sa justesse et son audace. À voir sans hésiter, je le recommande vivement.
Spectacle vu le 7 août 2019,
Frédéric Perez
D’après Edmond Rostang. Mise en scène de Bastien Ossart. Avec Iana-Serena de Freitas, Lucie Delpierre et Nataly Florez en alternance avec Marjorie de Larquier.
Du mardi au samedi à 19h00 ou 21h00 en alternance
(voir sur le site du théâtre) et les dimanches 18h00
53 rue des Saules, Paris 18ème
01.42.23.88.83 www.funambule-montmartre.com