Une comédie intelligente et délibérément drôle aux confins de la satire sociale, dont la force de dénonciation est aussi efficace que subtile.
« Ce soir, Caroline et Hadrien Marchand ont invité Hippolyte, le frère d’Hadrien, Laure, la meilleure amie de Caroline, et José, leur professeur de musique grâce auquel ils se sont connus adolescents et perdus de vue depuis 20 ans. Ce soir, chacune et chacun a quelque chose à… dire. »
Une soirée où les mots explosent et font éclater les vérités. Une soirée de tous les instants où chaque moment compte son lot de renversements et de bousculades, et où le rire chevauche le grave avec franchise pour déjouer ses maléfices afin qu’il ne vienne pas gâcher tout à fait la fête.
La vie quotidienne d’un couple passée aux tamis des droits et devoirs, des habitus et des contournements, des renoncements « parce qu’à force, bon ça va… » et du consentement arraché ou laissé à la lassitude de l’habitude. Freud, Jung et Dolto (Françoise comme Catherine) se délecteraient sans doute, Cyrulnik ? J’en suis sûr aussi…
Le ton est léger, le parti-pris est de toujours en rire certes. Mais au théâtre, nous le savons, la comédie jette ses filets et emprisonne avec déraison les vérités qui sont toutes bonnes à rire pour les dire. Ici et c’est savoureux, même si les idées sont profondes de sens et de critique sociale, les bons mots fusent, les saillies déclenchent des ribambelles de rires et permettent aux messages de cingler les consciences.
Amélie Cornu confirme son talent d’écriture. Après « Le Cri des Anges » en 2017, impressionnant et prégnant monologue théâtral qu’elle jouait magnifiquement, elle montre un nouveau registre de sa maîtrise d’autrice de théâtre.
Tous les thèmes abordés, sans exception, dessinent le tableau de la condition féminine contemporaine dite et criée, insoumise et détachée mais rebelle, autant qu’elle le peut, à la Charge Mentale qui la contraint. Une notion peu souvent abordée. Ici superbement illustrée dans quasi toutes les scènes. Thèmes qui harponnent les maux dénoncés pour nous les jeter au regard avec un humour souvent cynique, toujours caustique et parfois cru, qui fait mouche.
Les rapports hommes-femmes sont passés au crible, notamment le machisme ordinaire qui se complaît toujours et encore du pouvoir de son image. La sexualité, entre normes, tabous et plaisirs. La maternité, entre désir d’enfant, projet de couple et prescription sociétale. Le féminisme, entre sexisme et discours « bourgeois-bohème ».
La mise en scène de l’autrice, claire et simple, s’efface derrière le texte ficelé serré, truffé de répliques pétillantes, pertinentes et drôles que jouent avec maestria et finesse les quatre comédiens Jean Barlerin, Amélie Cornu, Tristan Le Goff et Aurélie Noblesse. Elles et ils sont pêchus et convaincants, jamais grotesques malgré des situations parfois proches de la farce. Il se dégage de leurs personnages une sincérité troublante où la franchise de la rébellion se mélange à la tendresse affective des relations. Les couleurs de jeux s’harmonisent et montre une complémentarité réussie, nécessaire pour cette pièce qui n’est pas que drôle.
Un spectacle remarquable où la critique sociale est jalonnée de traits et de ruptures comiques parfaitement rendus. Du théâtre fait de plaisir et d’intelligence comme on les aime. Je recommande vivement.
Spectacle vu le 10 septembre 2020,
Frédéric Perez
De Amélie Cornu, mise en scène par l’autrice. Collaboration artistique de André Obadia.
Avec Jean Barlerin, Amélie Cornu, Tristan Le Goff et Aurélie Noblesse.
Une création de la COMPAGNIE LICORNE DE BRUME