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Le grotesque de l'horreur nous éclabousse d’effroi dans cette pièce féroce et monstrueuse de Thomas Bernhard où l’humour glacial pique sans cesse, ravageur et habile. La mise en scène de Alain Françon, précise et stricte, fait ressortir l’impressionnante performance des trois comédiens très inspirés, jouant avec force et subtilité à la fois. Une mise en scène épurée qui fait entendre la langue de Bernhard, tenace et obstinée, sans concession ni retenue, bourrée de haine, d'abjection et de mépris.

Le spectacle nous plonge dans un univers qui regorge de propos délétères et de situations hallucinantes.

« Rudolf, ancien officier nazi reconverti en respectable président de tribunal, s’apprête à prendre sa retraite au terme d’une carrière exemplaire au service du droit et de la justice. Nous sommes un 7 octobre, jour de la naissance de Himmler, auquel notre héros voue une admiration sans faille. Chaque année, il célèbre cet anniversaire comme il se doit avec ses sœurs, l’ainée Vera et la plus jeune Clara. Tout est prêt, l’uniforme, les accessoires, le repas… »

Une fratrie des plus particulières, vivant dans la maison de leur enfance. Une fratrie qui n’a rien de familial, le mot « conjuration » est plusieurs fois prononcé à la place de « famille ».

L’épouvantable se dresse devant nous. Rien ne sent bon. Le fiel se répand tout le long de l’histoire, jusqu’à bouillonner et faire éclater par à-coups des bouffées nauséabondes. Bernhard montre du doigt l'âme humaine dans une rencontre monstrueuse de la répugnance affective avec la répulsion sociale.

En permanence, le spectacle le dépeint très bien, l'intime se bouscule au politique. La haine remplace l’amour et se fond dans la norme présentée. Les invectives comme les sous-entendus interpersonnels se mélangent aux propos sur l’environnement social, décrivant dans la même lie de dégout et de rage, le sort de la jeune sœur handicapée, l’existence des plus faibles, le danger des livres et des journaux, le bavardage socialiste de la crème prolétarienne et les juifs. Nous retrouvons dans cette pièce la dénonciation par l’auteur de la présence récurrente de la pensée « national-socialiste » dans la société contemporaine.

Nous sommes happés par le texte de Thomas Bernhard bien sûr, par la mise en vie de Alain Françon assurément, mais nous sommes surtout pris et surpris par le jeu des comédiens. L’époustouflante Catherine Hiegel, tout en puissance et en vacherie donne une vraisemblance insupportable au personnage de Vera. André Marcon, magnifique, est stupéfiant dans l'apparente normalité de la folie de ce nazi qui ne lâche pas ses croyances ni ne cache ses déviances. Et la subtile et étonnante Noémie Lvovsky qui restitue avec brio toute la douleur et la hargne rentrée de cette petite sœur prisonnière des deux autres.

Un grand moment de théâtre. Un pur régal, impressionnant et mémorable. Courez-y, c'est grandiose.

Spectacle vu le 13 octobre 2020,

Frédéric Perez

 

De Thomas Bernhard. Mise en scène Alain Françon. Assistant à la mise en scène David Tuaillon. Assistante dramaturgie Franziska Baur. Décors Jacques Gabel assisté de Morgane Baux. Lumières Joël Hourbeigt. Costumes Marie La Rocca. Musique Marie-Jeanne Séréro. Coiffures et maquillage Cécile Kretschmar.

 
Avec Catherine Hiegel, Noémie Lvovsky et André Marcon. Avec la participation d’Helena Eden.

 

Voir dates et horaires de représentation sur le site du théâtre

*

18 boulevard Saint-Martin, Paris 10ème

01 42 08 00 32  www.portestmartin.com

 

Photo © Jean-Louis Fernandez

Photo © Jean-Louis Fernandez

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