Un spectacle d’une adresse fine et élégante dans les outrances grotesques et désarmantes de cette illustre pièce en un acte de Georges Feydeau. Comme une roublardise affutée, tout à la pureté du style feydeaulien dont la frénésie est ici poussée à l’extrême. C’est hilarant et captivant, littéralement charmant et savoureux.
Cette courte pièce créée en 1910 met l’accent sur les déboires du mariage, s’ajoutant à la satire sociale habituelle de Feydeau, notamment dans sa peinture cynique et cruelle de la bourgeoisie.
« Bastien Follavoine, fabricant de porcelaine, doit recevoir à déjeuner Adhéaume Chouilloux, son épouse et son amant. Chouilloux est un fonctionnaire influent susceptible de lui passer une grosse commande de pots de chambre. Oui, mais ce jour-là, son fils Toto, 7 ans, est constipé. En robe de chambre et bigoudis, Julie Follavoine ne laisse aucun répit à son mari : Chouilloux ou pas Chouilloux, il faut purger bébé ! »
Le dramaturge sort ici du vaudeville et s’installe dans la farce conjugale. Il nous montre une « casse » qui n’est pas que matérielle ou sociale, elle est aussi affective, au plus près de l’intimité familiale. Et de tout cela il rit, nous faisant rire aussi, ô combien. Les délices sont légion et se montrent gourmands.
Dès l’ouverture, avant que la pièce commence, Julie Follavoine (Émeline Bayart) donne le ton du spectacle avec une chanson vantant les louanges équivoques, piquées de sous-entendus et de perversité, de la conjugalité. Nous pouvons alors nous plonger ensuite dans cette impensable fantaisie propre à Feydeau, sublimée par les folies douces et violentes de l’histoire. Nous sommes pris et surpris dans une farandole incessante où se succèdent les tournures et les saillies efficaces du texte, les incongruités et les contradictions incroyables des situations. Où les tornades déraisonnées des personnages deviennent détonantes.
Le parti-pris de mise en scène de Émeline Bayart est d’une audace jusqu’au-boutiste avérée, qui dépote et nous transporte tout le long. La houle grossit souvent et se fait tempête. Puis, et c’est délicieux, les vagues immenses nous jettent sur la plage où nous nous laissons prendre, ébahis et rassérénés, à des intermèdes chantés, craquants et croustillants, nous rendant complices des pensées les plus intimes des personnages sortis quelques instants de leurs furies. Des moments suspendus où la connivence avec le personnage se conjugue à la satire légère et salace du texte. C’est astucieux et de belle façon.
Les comédiens se régalent et nous régalent aussi. Valentine Alaqui (La bonne un rien déjantée et Toto, insupportable à souhait), Émeline Bayart (à l’exceptionnelle vis comica et au fichtre joli brin de voix), Manuel Le Lièvre (tordant en cocu malheureux qui se découvre), Eric Prat (placide bourgeois, époux et père de famille balloté et risible, qui se fait chaleureux), et aussi Delphine Lacheteau et Thomas Ribière… Elles et ils sont superbes dans leurs rôles campés classieux et franchement désopilants.
L’inventivité de cette création est un pur moment de bonheur théâtral et musical. La mise en scène de Émeline Bayart relève du grand art. L’interprétation de la troupe est remarquable. Un spectacle de grand plaisir que je recommande vivement.
Spectacle vu le 2 octobre 2020,
Frédéric Perez
De Georges Feydeau. Mise en scène de Émeline Bayart assistée de Quentin Amiot. Dramaturgie de Violaine Heyraud. Scénographie et costumes de Charlotte Villermet. Lumières de Joël Fabing. Arrangements musicaux de Manuel Peskine. Construction du décor de Jean Paul Dewynter et Théo Jouffroy. Peinture de Jean Paul Dewynter et Dorothée Dupla. Photographie de la toile et de la Tour Eiffel de Louis Dewynter. Couturières : Sylvie Barra et Stéphanie Mode.
Avec Valentine Alaqui, Émeline Bayart, Delphine Lacheteau, Manuel Le Lièvre, Eric Prat et Thomas Ribière.
Manuel Peskine au piano.
Samedi 3 octobre à 20h30 et dimanche octobre 4 à 15h00
Au théâtre Montansier
13 rue des Réservoirs – 78800 Versailles
01 39 20 16 00 www.theatremontansier.com
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À partir du 13 octobre
Du mardi au samedi à 19h00 et le dimanche à 15h00
au théâtre de l’Atelier
(voir relâches sur le site du théâtre)
1 place Charles Dullin, Paris 18ème
01 46 06 49 24 www.theatre-atelier.com