Quelle belle idée que la Comédie-Française propose en spectacle un cours de théâtre !
Un cours sur la fameuse scène d’exposition du « Misanthrope » tiré des cours emblématiques de Louis Jouvet, un de nos plus grands « patrons » du théâtre français. C’est un régal, c’est percutant, c’est passionnant. Une belle idée bienvenue dans le cadre cette florissante année « Molière ».
La mise en scène de Lisa Guez qui a conduit au préalable une écriture de plateau, restitue avec précision et sans détour ce qui d’ordinaire ne s’expose pas en public mais reste dans le secret de l’apprentissage dispensé ou expérientiel. Le travail du comédien, celui de la répétition. Ces instants essentiels où l’artisanat œuvre progressivement et chemine pour tenter d’atteindre son aboutissement c’est à dire l’art de l’exécution pour sa présentation au public.
Trois personnages. Deux élèves-comédiens et le professeur. Une scène et sa myriade de répétitions avec Michel Vuillermoz, Gilles David et Didier Sandre. Excusez du peu.
Cette farandole incongrue surprend par ses ruptures qui se fondent paradoxalement dans une fluidité déconcertante. Une farandole qui se montre drôle tant elle est ludique et surtout captivante de bout en bout. Une farandole folle et étourdissante. Une farandole qui trouve vers sa fin une sorte d'apogée lorsque les trois comédiens jouent simultanément le même rôle. Puis ce dernier temps, « la scène » dans tous ses éclats, conclusif et magistral. Un vif plaisir, tellement bien amené, évident, superbe. Sans oublier ce clin d’œil d'humour avant le noir final.
Nous assistons bien évidemment à une magistrale leçon de théâtre. Il faudrait tout pouvoir saisir pour ne rien perdre des délices que nous donne cette représentation du Théâtre qui apprend et enseigne, qui expérimente et égrène essais, erreurs, sensations, émotions et réflexions.
Mais comment faire (le faut-il vraiment ?) pour happer l’instantanéité de ce qui est et doit rester un « moment » avant tout. Un moment certes chargé de signaux et de messages affectifs et cognitifs mais furtif par essence. Éphémère mais suffisant pour imprimer par le regard et l’écoute, le travail du mot, du mouvement, de la posture, de la respiration, de l’altérité et de l’échange, qui vont faire sens et viendront toucher le public. Suite ininterrompue de recherches et de tâtonnements, d’expérimentations et de stabilisations qui deviennent peu à peu, ou pas, compétences acceptables.
Il y a comme un bonheur feutré et profond distillant des bouffées de plaisir dans ce spectacle aux allures de mise en abyme que nous offrent ici Michel Vuillermoz, Gilles David et Didier Sandre, magnifiques. Quels talents ! Leur finesse d’orfèvre, leur sincérité évidente et leur engagement total nous touchent. Nous recevons ce travail remarquable comme un cadeau.
Le public est conquis et ravi de ce moment de théâtre dans le théâtre. Un spectacle impressionnant et incontournable qui relève de ces moments rares et merveilleux pour les passionnés du Théâtre, qui auront ici un succulent buffet de délices. S’il reste encore quelques places, courez-y !
Spectacle vu le 31 mars 2022
Frédéric Perez
D’après « Molière et la comédie classique » de Louis Jouvet. Adaptation de Lisa Guez et Alexandre Tran. Mise en scène de Lisa Guez. Dramaturgie de Alexandre Tran. Scénographie et lumières de Lila Meynard. Assistanat à la scénographie et aux costumes par Auriane Robert de l’académie de la Comédie-Française.
Avec la troupe de la Comédie-Française : Michel Vuillermoz, Gilles David et Didier Sandre.
Jusqu’au 8 mai
Du mercredi au dimanche à 18h30
(relâche les 16 et 17 avril)
99 rue de Rivoli, Paris 1er
01.44.58.15.15 www.comedie-francaise.fr