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Un spectacle impressionnant et déroutant. La pièce mythique de Beckett ainsi jouée nous plonge dans un univers où le vide, le néant et le rien illustrent un ailleurs ou un après étrangement proche et horrifiant à la fois. Aucune prise rationnelle ne semble possible. L’imaginaire du spectateur doit œuvrer en permanence malgré les piqués furtifs du réel, souvent drôles, ironiques et cyniques, propres au langage beckettien.

« Hamm est dans un fauteuil, il est vieux, infirme et aveugle. Tous les mouvements qu’il peut faire, c’est sur son fauteuil roulant qu’il les fait, poussé par Clov, un domestique, peut-être un fils adoptif, qui est lui-même mal en point, qui marche difficilement. Le vieillard a ses parents encore, qui sont dans des poubelles, son père et sa mère qu’on voit de temps en temps apparaître. Hamm et Clov se déchirent, jouent une sorte partie d’échecs, ils marquent des points l’un après l’autre. Et il y a ce suspense d’un départ éventuel de Clov. Partira-t-il ou non ? Peut-être. On ne le sait pas jusqu’à la fin. »

Le texte est perfide. Les actions sont mécaniques et dénuées de situations narratives. Les personnages voguent de désarroi en fuite, criant leur intransigeance, dénonçant leur interdépendance. Les parents sont des morts-vivants qui renâclent par sursauts. Clov et Hamm eux se combattent, s’aiment peut-être et s’ennuient. Alors ils jouent de ça, il jouent d’eux-mêmes. Ils jouent de leur solitude perpétuelle et troublée dans laquelle un récurent combat intérieur les conduit à tenter d’exprimer l’inexprimable. Mais l’un sans l’autre, ils ne peuvent pas jouer à ce jeu de survie, cette seule occupation qui leur reste pour lutter contre l’absurdité et l’inutilité qui les taraudent et les figent dans un présent perpétuel et improductif. Il faut que cela finisse.

Jacques Osinski s’y entend à merveille pour faire parler Beckett. Il installe dès le début comme une façon de quatrième mur par le bruissement du lourd rideau de fer qui se lève, le silence et la lenteur qui s’emparent du plateau et la scénographie qui donne à l’ensemble une évidence de vacuité de l’instant. Nous sommes alors prêts à rentrer dans un théâtre de ruptures et de suspensions dans lequel le non-sens fatal et implacable se glisse et prend place.

Sa mise en scène est détonante. Il distingue nettement dans l’espace-temps de la représentation la parole et le silence, l’écoute et l’attente, l’entendu et le sous-entendu, le mouvement et l’immobilité. Œuvrant pour restituer ce qui semble être l’essentiel du théâtre de Beckett : « la choseté ». Aux couleurs allant du noir clair au blanc sombre, ici la couleur de la nuit et celle du chien, la « choseté » est ce qui représente selon Beckett la structure intime et indiciblement complexe de la réalité : « La chose sans accident, communément dite rien ».

Par ailleurs, Jacques Osinski sert élégamment les jeux textuels du méta-théâtre que Beckett parsème tout le long, laissant aux comédiens le soin de les jouer sans emphase ni effets. On entend parler les personnages de leurs jeux d’acteurs (aparté, soliloque, à moi de jouer, réplique…), cassant tout en la valorisant l’illusion théâtrale.

L’interprétation est d’excellence.

Peter Bonke et Claudine Delvaux campent les parents avec simplicité et efficacité, faisant ressortir avec justesse l’incarnation de leur décrépitude, leur quête de tendresse aussi comme la lucidité de leur condition de souffre-douleur.

Frédéric Leidgens est Hamm. Il sert avec une parfaite rigidité fourbe le personnage de ce vieillard cabot, personnifiant la violence qui soumet les autres, atrocement cynique et férocement touchant.

Denis Lavant est un fascinant Clov. Nous sommes hypnotisés par sa prestation. Un envoutant clown élastique, meurtri et déterminé à ne pas « être », à ne rien faire d’autres que ce que Hamm demande. Il nous fait croire jusqu’à la fin à une rébellion et une émancipation possibles. C’est fabuleusement bien joué.

Un spectacle de très haute qualité. Une « fin de partie » remarquable et mémorable en tous points. Incontournable !

 

Spectacle vu le 20 janvier 2023

Frédéric Perez

 

De Samuel Becket. Mise en scène de Jacques Osinski. Scénographie de Yann Chapotel. Lumières de Catherine Verheyde. Costumes de Hélène Kritikos.

Avec Peter Bonke, Claudine Delvaux, Denis Lavant et Frédéric Leidgens.

 

Du mardi au samedi à 19h et le dimanche à 15h

1 place Charles Dullin, Paris 18ème

01.46.06.49.24  www.theatre-atelier.com

 

Photo © Pierre Grobois

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FIN DE PARTIE au théâtre de l’Atelier
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