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Dans un face-à-face aux allures de duel d'une très forte intensité, le spectacle nous plonge dans les ruines encore fumantes d’une histoire d’amour interrompue sans avoir été totalement consumée, tout en nous faisant cheminer très près du précipice proche de la mort.
Deux êtres que tout a séparés se retrouvent sur une île lointaine, lieu qui tient à la fois du piège et de l'échappatoire. Quand le huis clos est fermé, ressurgissent les non-dits, les regrets, cette tendresse défigurée par les blessures du passé et cette violence inouïe qui semble avoir été et demeure encore un langage commun.
« Ils ont 44 ans. Ils furent ensemble. Ne le sont plus. Anna et Louis se retrouvent sur une île perdue. Face à une femme partie sans explication, mais qui avait ses raisons, l’homme éprouve un ressentiment que leur isolement loin de tout ne peut qu’enflammer. Devenue une star, la femme a choisi de terminer sa vie dans cet endroit isolé. Elle demande à l’homme d’écrire ses mémoires… »
Aurore Paris signe un texte sans compromis, où chaque mot semble découpé au scalpel. Elle dénude les sentiments avec une franchise brutale, jamais gratuite. Ici, l’amour n’a rien de romanesque, il est âpre, instable et souvent cruel. L’écriture frappe par sa précision, sa tension constante et cette manière d’approcher les failles humaines sans détour.
Impossible de ne pas penser aux propos d'Antonin Artaud sur le théâtre qui pour lui n'existe pas sans cruauté.
La pièce touche par sa justesse et sa densité émotionnelle. Elle nous parle de ce qui subsiste d'un couple après la séparation et de l'impossible réconciliation.
Le spectacle ne se contente pas de raconter une histoire, il interroge. Peut-on vraiment tourner la page quand une relation a laissé des traces aussi indélébiles ? Le pardon est-il possible quand le départ de l’autre est resté sans explication ? La douleur de l’abandon peut-elle un jour cesser de gouverner nos émotions ? Jusqu’où peut-on aller pour comprendre l’autre, pour être compris ?
Ces questions, posées sans didactisme, s’infiltrent dans chaque scène, chaque silence, chaque regard. C'est puissant et ravageur.
La mise en scène de Vincent Menjou Cortès choisit la sobriété pour mieux laisser place aux remous intérieurs des personnages. Dans un espace presque épuré, les propos dits et tus, les hésitations, prennent toute leur importance. Le public est comme aspiré dans ce tête-à-tête chargé d’émotion. Les jeux sur le côté des gradins, les lumières placées sur la salle en éclairage indirect sont autant de signes d'une proximité volontaire entre les spectateurs et les personnages. C'est ni trop ni pas assez, l'immersion est réussie.
Les comédiens, Vanessa Fonte et Vincent Menjou Cortès, livrent une performance bouleversante de retenue et de vérité. Ils habitent leurs personnages. Chaque parole, chaque mouvement, semble chargé d’histoire. Leur complicité scénique donne une crédibilité poignante à cette relation fracturée. À travers eux, leur passé devient tangible, les rancunes vibrent encore sous la peau et les élans d’amour refoulé s’expriment parfois dans des éclats fulgurants ou dans de simples frémissements de voix.
Ce spectacle est un impressionnant moment de théâtre intimiste qui explore les dérives de l’amour avec une finesse et une brutalité mêlées. Une mise en scène immersive et précise. Une interprétation véritablement saisissante. Je recommande vivement.
Spectacle vu le 3 juillet 2025
Frédéric Perez
Texte Aurore Paris. Mise en scène Vincent Menjou-Cortès. Scénographie Fanny Laplane. Création lumière Clarisse Bernez-Cambot Labarta. Régie son et lumière Thomas Rizzotti. Régie plateau Gils Barichnikoff. Costumes Salvatore Pascapè. Peinture Damien Caccia. Regards chorégraphiques Émilie Camacho et Lucien Reynès.
Avec Vanessa Fonte et Vincent Menjou-Cortès.