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Avec un entrain contagieux et une belle dose de légèreté, ce spectacle conçu par Fanny de Chaillé déroule un fil narratif à la fois joueur et érudit. Pas de leçon magistrale ni de récitatif académique. Plutôt une promenade en terrain vivant, menée tambour battant par quatre jeunes comédiens pleins d’esprit et d’allant, Malo Martin, Tom Verschueren, Margot Viala et Valentine Vittoz. Ensemble, ils revisitent des siècles de scène, de jeu, de voix et de corps, comme on feuillette un album de famille en mouvement.

Le plateau s’ouvre sans artifice. Un pied classique de micro à cour, deux chaises devant un micro de type ’’tête de mort’’ à jardin. Des enceintes en fond de scène et le reste de l’espace nu. Des corps disponibles, une envie claire de partager.

Peu d’effets, l’imaginaire convoqué fait le reste. Dès les premières minutes, on comprend que la pièce veut raconter autrement, en glissant d’un style à l’autre, du tragique à la farce, du souvenir au présent, sans s’attarder sur les rituels de la tradition. Le ’’théâtre’’ y apparaît non comme un monument, mais comme une expérience collective qui respire, qui bouge, qui se réinvente.

Ce souffle tient aussi à l’écriture. Fanny de Chaillé a conçu avec les comédiens un texte à plusieurs étages, où la parole circule librement, parfois comme un débat, parfois comme un jeu d’enfants. L’écriture n’impose pas une narration mais construit un mouvement. Elle mêle la citation et l’invention, la théorie et le geste, sans jamais cloisonner.

Le spectateur est entraîné dans une langue à la fois simple et savante, directe mais subtilement construite. Cette écriture, très incarnée, donne la sensation d’une pensée en action, d’un savoir qui se découvre en se parlant, d’un théâtre qui s’écrit sur le plateau autant qu’il se dit et se vit.

Le parti pris est clair et réjouissant. Revisiter l’histoire du théâtre non pour la raconter, mais pour la rejouer. Plutôt que d’empiler les dates et les figures, Fanny de Chaillé choisit de poser des questions, de faire surgir des images, des gestes, des contradictions. Ce choix donne à la pièce une allure de conférence renversée, où les acteurs deviennent autant de chercheurs maladroits, curieux, brillants, un peu fous. Cette liberté fait tout le charme du projet. Il n’y a pas une vérité du théâtre, mais une multitude de chemins pour y croire et pour le vivre encore et encore.

La metteuse en scène orchestre cette traversée avec précision et fantaisie. Les interprètes sautent d’un registre à l’autre, rejouent des fragments de répertoire, discutent de leur métier, se questionnent sur ce que « jouer » veut dire. Leurs échanges, à la fois drôles et lucides, déploient une réflexion pleine d’énergie sur le rapport entre le vrai et le faux, entre la vraisemblance et la vérité, entre l’acteur et le public. L’intelligence du propos s’accorde ici à la vivacité du jeu. On rit et on apprend, sans jamais décrocher.

Parmi les friandises du spectacle réside la manière de montrer les rouages du théâtre sans en briser la magie. Les gestes, les respirations, les silences deviennent des matières à explorer, presque des personnages. Sont évoqués comment le corps fabrique l’émotion, comment la parole circule, comment la scène devient laboratoire. Le tout avec un rythme précis, un humour discret mais efficace, et une complicité sincère entre les quatre artistes.

L’énergie circule en permanence. Le public se sent embarqué dans cette fresque miniature, même si la densité des références et la richesse textuelle demandent de l’attention. Le spectacle, parfois bavard dans sa générosité, peut filer plus vite que l’oreille, notamment pour un public jeune ou peu habitué. Les idées s’enchaînent avec entrain, les mots abondent, et quelques repères peuvent manquer ou glisser entre les doigts. Ce léger risque n’enlève rien à la qualité du moment, mais rappelle que cette proposition nécessite de la curiosité et de la concentration.

La mise en scène, d’une sobriété limpide, laisse toute la place à la parole et au corps. Sans surenchère, juste la conviction que le théâtre tient debout par la présence et le regard. Cette confiance, têtue autant que joyeuse, traverse tout le spectacle. Les protagonistes de cette expérience théâtrale singulière et prenante témoignent combien et pourquoi elles et ils aiment le théâtre. Parce qu’il permet de comprendre le monde en le rejouant.

Une autre histoire du théâtre réussit son pari. Faire du savoir une aventure, du plaisir une réflexion, de la mémoire une fête. Une heure inventive, rythmée, généreuse, qui rappelle que le théâtre n’est pas un musée mais un terrain de jeu pour l’esprit et les sens. Une belle respiration dans la saison, que j’ai savourée avec curiosité et sourire.

Spectacle du 23 octobre 2025

Frédéric Perez

 

 

Conception Fanny De Chaillé. Assistant Christophe Ives. Lumières et direction technique Willy Cessa. Son Manuel Coursin. Musiques Malo Martin. Régie lumières Juliette Labbaye. Régie son Clément Bernardeau.

Avec Malo Martin, Tom Verschueren, Margot Viala et Valentine Vittoz.

 

 

Photos © DR
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