Ici, pas de fausses confidences ni de surprises sorties du hasard ou de l’inconstance d’amoureux transis ou meurtris : On se joue de l’amour, on réclame avec insolence ses ardeurs voluptueuses, on se croit tout permis et on se permet tout ! L’indélicatesse est de mise chez ce jeune amoureux pédant, prétendant imposer sa vue et ses goûts, se gaussant des mœurs dans les bas-fonds de province !...
Mais le théâtre de Marivaux ne saurait se contenter de laisser ainsi un prétendu jeune homme d’honneur conter fleurette à sa guise et à qui bon lui semble, badinant pour son bon plaisir et marivaudant comme il joue aux cartes, insouciant et mauvais perdant ! Que nenni ! C’est d’une correction savante et savoureuse dont a besoin ce Petit-Maître, au nom de la vertu et de la morale qui lui seront rappelées.
Marivaux est de nouveau le combattant farouche et redoutable du ridicule des mœurs et de leurs égarements, dans cette pièce créée en 1734. L’histoire, son argument et ses messages rebondissent avec espièglerie sur les vagues et les vogues de notre temps, faisant résonner (OMG !), les "up-to-date" et autres "trop fashion" d'aujourd'hui.
Hortense, jeune fille de province, promise à un beau mariage, et sa suivante Marton, vont entreprendre de corriger le jeune promis Rosimond, imbu de lui-même et de sa condition de jeune homme de Paris venant à contrecœur à la campagne pour subir son mariage. Mais trop c’est trop ! Il n’a de cesse de railler et de tenter d’imposer ses habitudes galantes. Une leçon de politesse et d’amour s’impose, il lui en cuira donc !
Clément Hervieu-Léger montre à nouveau avec cette mise en scène, son intérêt et son savoir-faire pour ce théâtre du 18ème siècle dont nous savons combien il contribua à diffuser des idées nouvelles, émancipatrices et annonciatrices d’une conscience sociale libératrice.
C’est avec finesse et perfidie qu’il nous invite à cheminer parmi de charmantes et rieuses séquences bucoliques frissonnantes d’amour badin ou au contraire vibrant, malgré un texte un rien étiré mais au final plaisant de sa malicieuse démonstration. La mise en scène qu’il signe, soignée et classieuse, nous ravit par son esthétisme d’ensemble et sa précision dans les jeux véloces et les postures travaillées. Les ambiances souvent ludiques et parfois poétiques comme les situations comiques aux pointes satiriques font ressortir la gourmandise des impatiences d’une jeunesse effervescente et l’éclat des feux qui animent tous les personnages.
Les comédiens de la troupe excellent comme d’habitude. La comtesse (Florence Viala, débridée et superbe) ; le promis (Loïc Corberey, fougueux et brillant) ; la suivante (Adeline d’Hermy, déchainée et magnifique) ; le bel-ami (Pierre Hancisse, discret et transi) ; la promise (Claire de la Rüe de Can, ingénue et sereine) ; le comte (Didier Sandre, impeccable et tendre) ; Le valet (Christophe Montenez, drôle et adorable) ; la marquise (Dominique Blanc, digne et délicate) et une autre suivante (Ji Su Jeong, muette mais présente). Ils nous emportent dans ce tourbillon d’amour et de turpitudes, avec malice, agilité et un dynamisme pétillant.
Comme le théâtre classique est bien servi, tout à son honneur. Nous vivons les émotions de cette histoire baignée de valeurs humaines et de regards sur la société qui traversent les époques sans perdre de leur acuité. Un spectacle réussi, vif et lumineux.
De Marivaux. Mise en scène Clément Hervieu-Léger. Scénographie Éric Ruf. Costumes Caroline de Vivaise. Lumière Bertrand Couderc. Collaboration artistique Frédérique Plain. Musique originale Pascal Sangla. Son Jean-Luc Ristord. Maquillages et coiffures David Carvalho Nunes. Assistanat à la scénographie Dominique Schmitt. Avec la troupe de la Comédie-Française : Florence Viala, Loïc Corbery, Adeline d’Hermy, Pierre Hancisse, Claire de La Rüe du Can, Didier Sandre, Christophe Montenez, Dominique Blanc et la comédienne de l’Académie Ji Su Jeong.