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Ce spectacle revêt une audace incroyable. Il convoque la philosophie de Voltaire pour interroger le fanatisme aujourd’hui et en faire une pièce de théâtre, ô combien réussie.

Chapeau bas, madame Laurence Février ! Vous écrivez là et mettez en scène du théâtre politique digne de celui défendu par vos prédécesseurs Gémier, Vilar, Brecht ou autre Dario Fo…

Le public s’installe. Almona est au fond, papier et crayon à la main, elle attend. Il y a cette femme aussi, assise au bord du plateau, qui attend aussi. Nous apprendrons plus tard qu’elle est Ézéchièle, une ange-femme. Les deux femmes attendent Voltaire.

Une agitation anime le plateau, le début d’une conférence avec Émilie du Châtelet et Voltaire est prévue. Almona et François qui vient d’entrer et d'installer une caméra, se préparent à interroger les invités.

La porte s’ouvre et Ninon entre, aussitôt admonestée d’invectives et de reproches par Ézéchièle, rudement, aux limites de l'agression. Elle ne mérite pas d’être là, qu’elle se taise et écoute. De force, Ézéchièle l’installe au premier rang du public.

Voltaire ne vient toujours pas. Émilie du Châtelet entre à son tour. Une virago en fusion, hurlant des ordres, réclamant son matériel. Cette femme de sciences et de lettres du début du siècle des lumières nous fait découvrir son regard aiguisé et sa quête militante de progrès.

Commence alors la conférence. Nous comprenons que Voltaire ne viendra pas. Émilie du Châtelet est interrogée et parle volontiers, brillante et intraitable. Elle situe sa relation avec Voltaire.

La compagne, la muse et la complice du philosophe, explique le travail de l'illustre penseur, sa lutte acharnée et incessante contre l’injustice et le fanatisme religieux qu’il appelait « l’infâme ». Elle démontre avec maestria combien le combat contre l’intolérance et pour l’émancipation des peuples fut le leur.

Situation forte, charge lourde contre le cléricalisme castrateur et liberticide.

La conférence est terminée. Émilie du Châtelet sort.

Entre alors Frédéric, ancien camionneur, devenu auditeur des cours de l’université de Vincennes en 1968, puis professeur d’histoire et aussi tuteur de détenus pour crime de terrorisme, chargé d’œuvrer à leur réinsertion sociale. À ce titre, il s’occupe de Ninon dont nous devinons qu’elle est une jeune française fanatisée. Il vient la chercher et la conduit avec lui au centre du plateau. Une discussion s’engage.

Les travaux sur l’intolérance et le fanatisme de Voltaire, les « plis de la compréhension » et la nécessité que « les gens pensent » défendus par Deleuze sont développés pour expliquer à Ninon son fourvoiement frénétique et l'emprise de son embrigadement. Le débat nous éclaire et apporte des clés de réflexion sur l’actualité.

Entre la vacuité et la vanité vaine du combat terroriste, les réminiscences d’une nouvelle guerre de religions et d’une nouvelle inquisition, quelle place laissée à la liberté de penser par soi-même, au-delà des croyances imposées par l’éducation et la culture ?

La mise en scène et la scénographie utilisent des procédés indirects de mise en vie, attractifs et surprenants. Elles réservent la relation frontale au public pour mieux l’interpeller, le surprendre et l’inviter à la réflexion qui ne peut que naitre ou renaitre devant lui. Audace, adresse et efficacité.

La distribution crédible et enthousiaste comme sa volonté manifeste de partage nous touchent. C'est très bien joué.

JE SUIS VOLTAIRE est un spectacle qui nous rappelle que nous sommes Voltaire, comme nous sommes Paris ou Londres. Indispensable moment de « théâtre de la cité ».

 

Texte et mise en scène de Laurence février. Dramaturgie, Scénographie et environnement sonore de Brigitte Dujardin. Lumières de Jean-Yves Courcoux. Avec Éléna Canosa, Laurence février, Véronique Gallet, Henri Gruvman, Moussa Kobzili et Catherine Le Hénan.

Du mardi au samedi à 20h30, matinées samedi et dimanche à 16h00 – Cartoucherie, route du Champ de Manœuvre, Paris 11ème - 01.48.08.39.74 - www.epeedebois.com

- Photo © Margot Simmoney -

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- Photo © Margot Simmoney -

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