Ah ça, attention ! Nous avons là un Beckett des grands jours, dans toute sa splendeur caustique et cynique, sa drôlerie grinçante et dévastatrice, sa provocation intrépide et fascinante. Un texte de Beckett prenant et surprenant, un spectacle brillant et une interprétation haute en couleurs de Christophe Collin.
Cette nouvelle de Samuel Beckett écrite en 1946 et publiée 1970 regorge d’une théâtralité minutieuse et clinquante. Même si l’auteur ne souhaitait pas que ses textes qui n’étaient pas des pièces soient joués, PREMIER AMOUR trouve ici toute sa place sur un plateau et ne dépareille pas l’œuvre scénique de l’auteur.
Un monologue théâtral comme un voyage dans un pays d’ailleurs et d’ici, dans lequel le quotidien se gausse de l’aventure et le narrateur tire la langue aux grands mots et aux grandes idées sur l’amour et ses conventions. Là aussi où les ravages de l’étincelle amoureuse laisse des traces comme des larmes de tendresse poétique dont un Pierrot lunaire et burlesque ne peut se défaire même s’il n’en a que faire.
Drôle d’un humour fou et noir, terrible de dérision précise et extravagante, L’homme joue de sa voix et de son corps pour nous conter son histoire, ses souvenirs égocentrés qu’ils colorent de désarroi dérisoire et son premier amour qu’il vit comme une bizarrerie venant contrarier la tranquillité de sa solitude.
Aux allures d’une pantomime fine et captivante, il dit à haute voix tout ce qu’il pense de ce qui ressurgit de sa mémoire. « Je sentais l'âme qui s'ennuie vite et n'achève jamais rien, qui est de toutes peut-être la moins emmerdante » ou bien « Ce qu’on appelle l’amour c’est l’exil avec de temps en temps une carte postale du pays ».
Le texte semble placé sous surveillance et laissé à l’appréciation du narrateur qui ne se prive pas de placer des temps suspendus ou de couper une tirade quand il en a assez. « …cette phrase a assez duré ». Ou encore « Je ne vois pas de lien entre ces observations. Mais qu’il y en ait un, et même plusieurs, ne fait pas de doute pour moi ».
La mise en scène de Jacques Fontaine fait bouillonner ce voyage dantesque de l’homme dans son passé avec une mécanique de précision et une habileté de farce qui conviennent à merveille. Ce magnifique personnage au langage quasi onirique et décalé est incarné avec brio par Christophe Collin. Un comédien impressionnant et tellement juste qu’il semble se confondre tout à fait avec cet être libre de vivre et d’aimer. Du bel ouvrage.
Un Beckett incontournable. Un spectacle que je recommande vivement.
De Samuel Beckett. Mise en scène de Jacques Fontaine. Lumières de Dominique Breemersch.
Avec Christophe Collin.
Les mardis et mercredis à 19h00 jusqu’au 5 juillet – 3 rue des Déchargeurs, Paris 1er – 01.42.36.00.50 – www.lesdechargeurs.fr