Tobias et Henri se retrouvent dans l’appartement vide et délabré qui fut celui de leurs parents. Ils attendent Carl, le troisième frère pour décider ensemble du devenir de ce bien. Une banale affaire de succession en somme. Banale ? Peut-être…
Mais pourquoi ce silence si profond dès les premières minutes, ce climat sourd et chargé de non-dits qui nous saute à la gorge et nous étrangle aussitôt ?
Cette tension entre les deux frères présents est si puissante qu’elle se passe de mots. Lourd, trop lourd ce qui pèse en eux et entre eux. Trop pour se le dire simplement, comme ça, comme ils le devraient sans doute. Comme ils ne peuvent pas le faire, de toute évidence. C’est trop tard, c’est trop tôt. Le saurons-nous enfin ?
La pièce de Charif Ghattas dépeint les inévitables évitements des retrouvailles d’une fratrie meurtrie par son passé. Les silences furieux et inquiets, arrogants et affectueux, parlent plus que cent répliques aiguisées. Les regards se toisent. Les yeux se défient. Puis les lèvres s’entrouvrent et s'abiment sur des flots de paroles anodines, pour dire autre chose que ce qu’il y aurait vraiment à se dire.
Pour cacher l’indicible et sa douleur, la souffrance de ce qui ressemble à une culpabilité enfouie, sublimée jusqu’à l’évitement de sa délivrance.
Carl ne vient toujours pas.
Surgissent alors peu à peu, il faut bien se parler, les souvenirs d’enfance, les jeux et les disputes. Mais quelle est cette animosité entre eux ? De la haine ou du renoncement ? Ils se cachent derrière elle pour mieux résister à la douleur qui sourde, qui menace de surgir et qui finalement éclate, entre les colères furieuses qui les emportent et la fraternité affectueuse qui les rassemble.
Carl ne vient toujours pas. Carl ne viendra plus.
Il ne sert à rien d’espérer. Le secret de famille reprend sa place dans l’imaginaire et la mémoire des deux frères. Dans la réalité, ils ne peuvent pas l’accueillir.
Un texte prenant, saisissant même. La mise en scène de l’auteur centre l’attention sur le jeu des comédiens, leurs silences, leurs attitudes, leurs combats intérieurs qui explosent parfois, encore et enfin.
Francis Lombrail et Thibault de Montalembert jouent de l’excellence. Ils incarnent les deux frères avec une densité de jeu incroyable. Ténue et introjectée, puissante ou fragile, c’est selon. Nous assistons là à un grand moment de théâtre. Une leçon d’interprétation.
Un spectacle admirable dont nous sortons groggy par le texte troublant et prenant, profondément touchés par le jeu des comédiens. Incontournable temps de théâtre.
Texte et mise en scène de Charif Ghattas.
Avec Francis Lombrail et Thibault de Montalembert.
Jusqu’au 29 avril
Du mardi au samedi à 19h00 et le dimanche à 17h00
78 bis boulevard des Batignolles, Paris 17ème
01.42.93.13.04 www.studiohebertot.com