Entre narrations, jeux et chansons, le tout parsemé de musiques, ce captivant spectacle nous conte avec éclats la tragédie de Louise Grappe et l’étrange épopée de son mari Paul, le célèbre déserteur-travesti qu’on dénommera aussi l’homme-femme. Un drame prenant et surprenant qui défraya la chronique et subjugua l’opinion publique des années 1920.
Aux allures d’un feuilleton à sensations, le récit étonnant nous touche, nous trouble et nous interroge à la fois.
Paul et Louise se marient et sont sans doute heureux jusqu’au départ de Paul au front. Blessé par automutilation, il finit par déserter et rejoint Louise pour se cacher. Il décide de se travestir en femme pour mieux déjouer le destin. Louise vit alors avec Suzanne… En copines, à l’époque où les garçonnes sont à la mode, rien de bien inconvenant.
Dix ans plus tard, il redeviendra Paul, à la proclamation de l’amnistie des déserteurs.
Quel sera ce retour à la masculinité ? Une identité perdue peut-elle se retrouver sans dommage ? Dix ans, c’est long pour un rêve éveillé, en quoi Suzanne a-t-elle changé Paul ?
Toute cette décennie, Suzanne embarque Louise dans une épopée trouble et troublée, où les années folles portent bien leur nom, donnant aux corps et aux usages une liberté irrévérencieuse et inédite, à la furieuse malséance. Pour Suzanne, cette libération semble prendre les apparences d’une fuite en avant. Vers la quête d’un nouveau bonheur de vivre, visant à supporter les traumatismes de la guerre, les peurs installées à jamais et permettant la découverte d’un nouveau genre, transgenre et tapageur.
Sexualité débridée, échangisme, perversion des normes et violences enfouissent la culpabilité du dévoilement. Bisexualité, homosexualité, transformisme, ces attitudes transgenres sont-elles éphémères ou permettent–elles au latent de devenir manifeste ?
La Suzanne fabriquée n’est pas plus heureuse que le Paul redevenu. Seul un arrêt de cette dérive inassumée peut clore les souffrances du mari bipolaire devenu alcoolique et de l’épouse maltraitée, subissant des violences conjugales jusqu’à l’intolérance.
L’histoire remontée à partir du livre des deux historiens Voldman et Virgili, est d’une adroite et édifiante théâtralité. Les variations de tension du récit nous font passer par des émotions diverses, suspendus au déroulement pour ne rien perdre. La mise en scène simple et fluide de Julie Dessaivre centre l’attention sur les personnages, leurs transformations à vue, physiques et psychiques. Les souffrances cruelles infligées ou vécues passent la rampe.
Nous sommes cueillis dès le début par cette façon de conter et de montrer cette histoire à la cruauté et au trouble bien rendus. Les jeux sont au diapason. Ce soir-là, Éloïse Bloch (remarquable), Anaïs Casteran (touchante), Matthieu Fayette (troublant·e), Constance Gueugnier (rigolote) et Zacharie Harmi (finement éclectique) jouent et chantent avec enthousiasme et un profond engagement.
Un spectacle qui retient l'attention par son récit tragique qui fit scandale, bien joué et d’une théâtralité étonnante et réussie. À voir sans hésiter.
Création collective librement inspirée de « la Garçonne Et l’Assassin » de Fabrice Virgili et Danièle Voldman (éditions Payot). D’après une histoire vraie. Texte et mise en scène de Julie Dessaivre. Création musicale de Édouard Demanche. Création Lumière de Matthieu Tricaud. Costumes de Marie-Armelle Bloch. Régie Générale de Nicolas Roy.
Avec Éloïse Bloch, Anaïs Casteran ou Léa Rivière, Édouard Demanche ou Matthieu Fayette, Julie Dessaivre ou Constance Gueugnier et Zacharie Harmi.