Admirable fresque romanesque, prodigieux « Idiot » à la densité dramaturgique remarquable, cette longue et grandiose adaptation du roman de Dostoïevski par Thomas Le Douarec offre un spectacle saisissant, captivant même, dans lequel les vibrations du romantisme et les questions posées par le texte sont particulièrement bien rendues.
Dans cette bonne société bourgeoise de la Russie de la fin du 19ème siècle, où la richesse et la faillite se côtoient, le luxe et la luxure se conjuguent, la pauvreté et la servitude se confondent pour survivre, le Prince Mychkine revient de Suisse après quatre années de soins psychiatriques.
Son attitude, ses propos, sa franchise et sa simplicité sont compris comme les restes convalescents d’un malade amusant. Le simplet, l’idiot dont on se moque avant de s’y frotter et qui apporte par ses regards, ses remarques et ses prises de position, un trouble manifeste à l’ordonnancement des habitudes et des conventions, et bouleverser le destin de ceux qui l’entourent.
Avec sa naïveté sincère, son dévouement à l’autre délibérément innocent de tout calcul, sa recherche permanente de bienveillance, le Prince Mychkine se donne en pâture aux vicissitudes de l’amour et à la quête du bonheur. Il surprend son monde sans le vouloir, confrontant les uns et les autres, par effet de miroir, aux questions intimes des relations interpersonnelles jusqu'à les obliger à se dévoiler.
La bonté peut-elle s’opposer à la cruauté comme l'illusion d’une rédemption inconsciente ? La moralité devient-elle la résultante de la pénitence ? L’humilité, la pitié et la piété peuvent-elles conduire ainsi à donner plus d’amour qu’en recevoir ?
L’outrance des situations comme celle des personnalités inscrivent des rebondissements et des césures dans l’histoire, la rendant riche et impressionnante, nous laissant suspendus en permanence au fil du récit.
Dans une scénographie épurée, la mise en scène de Thomas Le Douarec centre notre attention sur les personnages, leurs jeux et leurs destins.
Une forme de lyrisme augmenté appuie le romantisme du texte, parfois jusqu’à l’extrême limite comme ces scènes où l’hystérie explose étonnamment dans les rôles des jeunes femmes.
Mais l’ensemble captive et le tout est coloré par une théâtralité audacieuse.
Arnaud Denis donne ici un Idiot magnifique, tout en subtilité, en finesse et en simplicité, avec une force intérieure perceptible et touchante. Il distille de vives émotions. Une très belle interprétation.
À noter également les prestations remarquables de Daniel-Jean Colloredo, Fabrice Scott et la lumineuse Marie Lenoir. Entourés de Caroline Devismes, Solenn Mariani, Gilles Nicoleau (ce soir-là), Marie Oppert et Bruno Paviot.
Un spectacle captivant, un Idiot magnifique. Un agréable temps de théâtre que je recommande.
D’après L’idiot de Fiodor Dostoïevski. Texte et mise en scène Thomas Le Douarec. Décor : Matthieu Beutter. Costumes : José Gomez. Lumières : Stéphane Balny. Musique et bande-son : Mehdi Bourayou. Perruques et maquillages : Stéphane Testu.
Avec Daniel-Jean Colloredo, Arnaud Denis, Caroline Devismes, Thomas Le Douarec ou Gilles Nicoleau, Marie Lenoir, Solenn Mariani, Marie Oppert, Bruno Paviot et Fabrice Scott.
Lundi à 19h00, mardi, mercredi, jeudi et vendredi à 21h00
Matinée samedi à 16h00
Représentation supplémentaire le samedi 23 juin à 21h00.
20 avenue Marc Sangnier, Paris 14ème
01.45.45.49.77 www.theatre14.fr