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Quel joli spectacle nous attend au Guichet Montparnasse, pour nous faire découvrir ou retrouver le fameux TAILLEUR POUR DAMES, premier vaudeville en trois actes de Georges Feydeau, créé en 1886 au Théâtre de la Renaissance.

 

Un spectacle qui sert avec un brio et une audace remarquables cette pièce à l’alacrité abondante, truffée d’idées bouffonnes et piquée d’inventions burlesques, qui fait le charme de ce genre théâtral et la marque de fabrique de son illustre instigateur. Nous sommes emportés aussitôt dans un tourbillon ravageur et décapant, calé avec la précision d’orfèvre nécessaire, la fameuse mécanique feydeaulienne, ici ô combien respectée.

 

Jean-Marie Ledo adapte le texte sans rien trahir. Tout y est, seules quelques coupures ont été apportées. Il réalise la mise en scène avec adresse, faisant ressortir la gaîté des dialogues aiguisés qui couvrent l’ensemble de la pièce d’une bonne humeur toujours élégante et classieuse. Les répliques arrivent à point nommé dans ce magistral imbroglio dans lequel le couple est ri et l’amour jamais assouvi.

 

Sa direction de jeux suit avec délice le précepte du « mot de théâtre » selon Feydeau qui attachait une importance quasi maniaque à ce qu’un bon mot ne soit amené que par une situation. Nous y sommes, nous l’avons.

 

  • Embrassez-moi, belle-maman... Oh ! mais ne me secouez pas trop... Parce que quand on vient de dormir…
  • Vous venez de dormir ?
  • À peine. (Rappelons qu’ici, Moulineaux vient de s’assoupir un instant après avoir découché toute la nuit)
  • Ça se voit !... Vous avez la figure d’un homme qui a trop dormi !

Empêtrés dans des quiproquos tarabiscotés pour rebondir de plus belle sur les exagérations qui rendent improbables leurs véracités et savoureuses leurs représentations théâtrales, les personnages nous seraient pathétiques s’ils n’étaient pas si drôles.

 

  • Ah ! Étienne, entrez chez moi, vous trouverez ma robe de chambre, vous la prendrez et vous l’apporterez.
  • Vous dites ?
  • Vous la prendrez et vous l’apporterez.
  • Ah ! Monsieur est bien bon, je remercie bien Monsieur.
  • … Je ne vois pas en quoi je suis si bon de lui demander ma robe de chambre.

Fraicheur et enthousiasme sont à la clé de cette partition de Feydeau telle qu’elle est jouée. Du tic récurent et hilarant de Bassinet le gaffeur-raseur en passant par l’omniprésence quasi onirique d’Étienne le domestique (oui celui-là même qui va chiper en toute bonne foi la robe de chambre de Monsieur) pour aboutir à la déconfiture impuissante et drôlissime du pauvre Moulineaux, tout est fait pour baigner le spectacle dans une sorte de poétique de la dérision. C’est jubilatoire, chaleureux et complice.

 

  • Mon cher, pour moi, il n’y a que le massage.
  • J’en ai essayé, ça n’a pas réussi.
  • C’est que vous ne savez pas vous y prendre. Vous choisissez un masseur, n’est-ce pas ? Vous le faites déshabiller, vous l’étendez sur un divan et vous le massez de toutes vos forces pendant une heure. Après ça, si votre sang ne circule pas, je veux que le loup me croque.
  • Ah ! bien, voilà ! Je m’y étais toujours pris à l’envers ; je vous remercie, j’essayerai.

Nous retrouvons avec bonheur la verve de Feydeau qui se complait à brosser ses contemporains dans le sens du ridicule et de la fourberie, les conduisant dans les méandres de l’absurde avant l’heure. Le grand maître du vaudeville, ici déjà, semble faire une place singulière aux femmes. Entre une misogynie de façade emberlificotée par la morale machiste et une velléité féministe sous-jacente portée entre autres manières par le pouvoir de donner ou pas le plaisir espéré voire sublimé par ces messieurs.

  • Aux tribunaux ?... Mais jamais de la vie !... Voyons, expliquons-nous. Tout notre malentendu est le résultat d’une méprise. Tu m’as surpris avec une dame, oui ! Je ne la connais pas, moi, cette dame. La preuve, c’est qu’elle est à monsieur… N’est-ce pas ?
  • Oui, oui... oui, oui, oui !
  • Tu vois ?
  • À d’autres, monsieur !

On s’esclaffe et on s’amuse comme dans une fête où les manèges s’affolent dans un mouvement particulièrement rapide mené tambour battant par une mise en scène enlevée, tâtant du gag, soignant le visuel et servant le texte à la perfection.

La distribution se démène et c’est tant mieux. À noter, Régis Debraz, drôlissime Bassinet ; Olivier Ducaillou, splendide Étienne ; Natacha Simic, fine et subtile Mme Aubin ; Jean-Marie Ledo, époustouflant Moulineaux. Et Jean-François Labourdette, Maïna Louboutin, Karine Malleret et Michelle Sevault qui ne sont pas en reste. Elles et ils nous font passer de chez Moulineaux au tailleur Machin pour retourner chez Moulineaux, sans qu’on ne voie rien venir. Ça file et ça défile, comme à la fête je vous dis !

Un spectacle bien ficelé et très drôle, Une mise en scène audacieuse et réussie. Une distribution enthousiaste. Un dimanche soir avec Feydeau que je conseille chaleureusement.

Spectacle vu le 27 janvier 2019,

Frédéric Perez

 

 

De Georges Feydeau. Adaptation et mise en scène de Jean-Marie Ledo. Collaboration artistique de Florent Bon et Jérôme Viard.

Avec Régis Debraz, Olivier Ducaillou, Jean-François Labourdette, Jean-Marie Ledo, Maïna Louboutin, Karine Malleret, Michelle Sevault et Natacha Simic.

 

Les dimanches à 20h00
15 rue du Maine, Paris 14ème
01.43.27.88.61  www.guichetmontparnasse.com
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