Un spectacle singulier où il fait bon rire pour ne pas pleurer, plongés dans un univers glaçant et hilarant au décalage savoureux et touchant, parsemé d’épines irrationnelles et baigné d’ambiance bienveillante. Un univers fou dans un asile flou, tellement fou et flou qu’il serait vain de chercher à distinguer qui est qui parmi les soignants et les patients.
« Les lapins roses se jettent les uns sur les autres, par amour ou cannibalisme. Ballet de bestioles en liberté. Les psychiatres dansent la samba et des malades s’enfouissent à trois dans un grand pull rouge. Chacun a sa raison, sa logique imperturbable. Ils courent ou ralentissent le pas, rien de normal. »
Une fantaisie revêche et dévastatrice qui nous cueille et nous place sans nous laisser le choix devant un imaginaire franchement barré et profondément sensible où règne une absurdie surréaliste. Les mots s’agitent, les corps parlent et les musiques gomment, jamais totalement, les caresses hérissées de ce raz-de-marée clownesque qui nous touche au cœur comme aux zygomatiques.
« Camille : Parce que j’ai envie de sortir je vous ai expliqué… Marie : Ben oui mais ça coule de source que quand t’es enfermé tu veux sortir »
Les yeux rivés sur le plateau, nous sommes ébahis. On rit, on fou-rit souvent, on se retient aussi. Pourquoi ? Je ne sais pas, je ne sais plus. Sans doute surpris par ce déluge composite, incessant et envoutant, de situations inattendues, de saillies qui fusent, de scènes quasi oniriques où le mélange entre le vraisemblable et la fiction nous saisit.
« Infirmière : Du moment qu’il existe des prisons et des asiles, il faut qu’il y ait quelqu’un dedans. Si c’est pas vous, c’est moi ; si c’est pas moi, c’est quelqu’un d’autre… Eh ouais ! »
Zabou Breitman nous propose un voyage drôle mais pas que, dans un ailleurs cocasse de réalités concassées qui nous confrontent à ce qu’on appelle la folie. Avec la prudence de ne pas dessiner de frontières nettes, de les laisser poreuses, de les rendre proches, son spectacle se joue des liens entre ce qui est montré et la perception de la normalité, entre cette gêne qui se cache dans le rire et la mémoire de gens rencontrés, entre le doute et la tolérance devant l’étrangeté de l’autre et la peur de la nôtre. Comme si la cible du spectacle était à la fois notre intimité et notre socialité. Le parti pris d’en rire manifeste n’empêche pas l’ambivalence du message. Quel bel et bon spectacle !
La distribution composée de jeunes talents nous ravit. Antonin Chalon, Camille Constantin, Rémy Laquittant et Marie Petiot se répartissent haut la main tous les aspects du spectacle vivant. Du jeu au chant, de la danse à l’acrobatie en passant par le travail de clown. C’est très bien fait. Chapeau bas mesdemoiselles et messieurs, vivement de vous revoir !
Quelle audace réussie de nous faire rire de tout ceci ainsi, avec douceur, avec éclats, avec une espièglerie bluffante et un abattage désopilant. Un spectacle qui nous parle tout près autant qu’il nous fait rire ensemble. Superbe !
Spectacle vu le 9 mai 2019,
Frédéric Perez
Textes, adaptation et mise en scène de Zabou Breitman. Librement inspiré du travail documentaire de Ilan Klipper, extraits de textes de Anton Tchekhov et William Shakespeare, quelques mots de Zouc et de textes de Zabou Breitman. Assistanat à la mise en scène de Pénélope Biessy et Diane Derosier. Chorégraphie de Gladys Gambie. Acrobatie et chorégraphie de Yaung-Biau Lin. Travail du clown de Fred Blin. Décor et scénographie de Audrey Vuong et Zabou Breitman. Costumes de Cédric Tirado et Zabou Breitman. Lumières de Valentin son de Tiphanie Bernet. Régie générale de Simon Stehlé. Régie plateau et habillage de Amina Rezig.
Avec Antonin Chalon, Camille Constantin, Rémy Laquittant et Marie Petiot.
Du mardi au samedi à 21h00 et le dimanche à 15h30
Relâche le 30 mai
2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris 8ème
01.44.95.98.21 www.theatredurondpoint.fr