Une pièce à énigme dans la pure tradition d’un polar bien ficelé mais pas que, tirée du roman culte de John Wainwright et adaptée avec adresse pour le théâtre par Francis Lombrail et Frédéric Bouchet. Une énigme qui se joue sur deux plans simultanés qui se rejoignent. L’enquête sur une horrifiante affaire de meurtres d’enfants et l’échouage de la vie de deux époux.
« Pendant le réveillon de Noël, Monsieur Bergerot, maire d’une petite ville, est convoqué au commissariat pour être entendu dans des affaires de viols et de meurtres de trois jeunes filles. D’abord simple témoin, il devient le principal suspect aux yeux du commissaire Toulouse et de l’inspecteur Berthil. Sa femme l’accable alors qu’il encourt la peine de mort… »
Le récit est connu pour son adaptation cinématographique célèbre. Il n’est pas difficile de l’oublier car nous nous laissons prendre aussitôt par l’intrigue telle qu’elle est restituée. Notre attention est d’abord happée par les lignes abstraites et suggestives du décor de Vincent Tordjman. Les comédiens nous emportent vite ensuite dans leurs jeux.
Nous voici plongés dans une théâtralité prenante et réussie, avec ce qu’il faut de tensions psychologiques et de rebondissements pour observer tout ce qui se passe et se joue devant nous, et ressentir précisément les émotions des affects en présence.
Du théâtre d’acteurs subtil et captivant. Tous les passages du labyrinthe figuré par ce récit à tiroirs sont vécus là, en temps réel, par des jeux habités d’une intensité pure.
La mise en scène de Charles Tordjman donne au plateau des allures d’arène à ciel ouvert. Les protagonistes, jamais trop proches les uns des autres au début, se jaugent puis se dévoilent, s’interpellent puis s’abandonnent. Les jeux d’ombres et de lumières donnent des reliefs et des pauses au récit, à son suspens, à ses révélations et aux liens qui se tendent ou se relâchent. C’est d’une superbe efficacité.
Les personnages nous étonnent tant ils sont particulièrement bien campés. Chacun apporte sa couleur, ses obsessions, ses forces et ses faiblesses, là où on ne pensait pas les voir, là où ils viennent avec habileté nous surprendre tout à coup. Qui de sa passion pour la quête de vérité ; son refus de l’abject devant ces meurtres odieux ; son combat pour tenir son rang social ; ses détours alambiqués pour cacher sa vie privée ; sa haine qui a pris la place de l’amour.
Les interprètes sont troublants de vérité et de sensibilité.
Marianne Basler est une madame Bergeron magnifique. Les meurtrissures profondes de cette femme nous touchent et ouvrent les portes du récit conjugal qui se superpose au récit de la garde à vue. La douleur tragique d’une vie blessée, rompue même. L’espérance de bonheur qu’un simple regard sur un moment flouté par le filtre de l’imagination, a gâché à jamais. Splendide interprétation, toute en dignité cassée et en courage vain.
Thibault de Montalembert est monsieur Bergeron. Il est saisissant. Son désarroi qui devient douleur est le nôtre. La progression dans son rôle est d’une finesse incroyable et au final d’une émotion parfaite qui passe la rampe.
Francis Lombrail donne à l’inspecteur Berthil la truculence de l’homme habitué à la violence du contact, qui agit avec ses tripes, nous montrant une humanité franche et bourrue qui le rend sympathique. Un jeu coloré et cash à la fois.
Wladimir Yordanoff, le commissaire Toulouse, compose un personnage de flic ordinaire tout en complexité. Laissant sa vie privée au fond d’un verre ou de l’oubli, il mène son travail avec le sérieux attendu, opiniâtre et rusé. Laissant passer ses doutes au travers de sa carapace nonchalante. Remarquable.
Voici du théâtre d’acteurs subtil et captivant. Une adaptation et une mise en vie réussies de cette histoire aux multiples facettes. Une comédienne et des comédiens qui offrent un moment de théâtre chaleureux, pénétrant et passionnant. Je recommande vivement.
Spectacle vu le 25 septembre 2019,
Frédéric Perez
D’après de John Wainwright le roman « Brainwash ». Adaptation de Francis Lombrail et Frédéric Bouchet. Mise en scène de Charles Tordjman. Assistanat à la mise en scène de Pauline Masson. Décors de Vincent Tordjman. Lumières de Christian Pinaud. Costumes de Cidalia Da Costa. Musiques de Vicnet.
Avec Marianne Basler, Thibault de Montalembert, Francis Lombrail et Wladimir Yordanoff.
Du mardi au samedi à 21h00 et le dimanche à 15h30
78 bis boulevard des Batignolles, Paris 17ème
01.43.87.23.23 www.theatrehebertot.com