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Cette pièce de théâtre cultissime de Sartre est mise en vie ici avec une limpidité et une facilitation d’accès extraordinairement proches qui font de sa représentation un délicieux précis d’humour teinté de cynisme où la pensée se veut optimiste et le récit captive tout le long, même si nous sommes sans doute nombreux à en connaitre le propos.

 

Il est surprenant de constater combien la proposition de Jean-Louis Benoit donne une impression de découvrir la pièce comme une première fois tant sa façon est novatrice, audacieusement et délibérément vive, crue et cruelle, mais faisant en permanence ressortir la profondeur humaniste des nombreux sujets.

 

C’est l’enfer. Sans chi-chi, sans torture, sans feux ardents ni autres signes archétypaux de l’imagerie originelle. L’enfer à trois. Trois personnes que rien ne rassemble apparemment vont se trouver enfermées, confrontées et exposées les unes aux autres. Chacune d’elle est conduite tour à tour dans un espace où trois canapés les attendent. Garcin, le journaliste pacifiste ; Inès, l’amoureuse de l’épouse de son cousin et Estelle, la jeune mondaine.

 

Les causes apparentes de leurs morts n’expliquent pas leurs présences en enfer, la réalité de leurs vies, si.

 

Entre apparence et réalité, l’identité de chaque protagoniste se devine jusqu’à s’extraire et exploser aux yeux, sous le joug des deux autres. Si chacun peine à se découvrir, aucun n’évitera le dévoilement.

 

Quels que soient les moyens employés : la séduction, l’intimidation, la menace, le harcèlement, les murs du mensonge à soi-même et aux autres tomberont. Mais ensuite, la lâcheté laissera place à quels aveux ?

 

À quels jugements seront-ils soumis ? Par qui seront-ils jugés ? « Est-ce que c’est possible qu’on soit lâche quand on a choisi les chemins les plus dangereux ? Peut-on juger une vie sur un seul acte ? »

 

 Quels repentirs pourront-ils obtenir pour ce qu’ils ont fait de et dans leur vie ? « On meurt toujours trop tôt – ou trop tard. Et cependant la vie est là, terminée ; le trait est tiré, il faut faire la somme. Tu n’es rien d’autre que ta vie. »

 

Pourront-ils enfin échapper à ce huis clos infernal qui les piège et les pressure ? « Aucun de nous ne peut se sauver seul ; il faut que nous nous perdions ensemble ou que nous nous tirions d’affaire ensemble. »

 

Soumis et enfin résignés peut-être à vivre ensemble cet enfer au réalisme véritable, ces trois prisonniers du regard de l’autre vont devoir s’accepter pour ne plus s’ignorer eux-mêmes, tant ils se voient en regardant les autres. La liberté est-elle le fruit de cette acceptation ? L’humanité naît-elle de cette liberté-là ?

 

Étrangement, toutes les questions que soulèvent cette pièce ne pèsent en aucune façon sur son déroulement. Il y a comme une légèreté complice dans la mise en scène de Jean-Louis Benoit, qui rend fluide et souvent drôle les situations, les plongeant dans un surréalisme teinté d’absurdie qui est tout sauf innocent.

 

Les jeux sont colorés avec une puissance et une finesse entremêlées. Marianne Basler, Mathilde Charbonneaux, Maxime d’Aboville et Anthony Cochin excellent littéralement. Elles et ils nous tiennent en haleine de bout en bout, variant leurs jeux de multiples nuances au rendu époustouflant de vérité. Des explosions de colères aux minauderies, de la férocité charnelle déployée par moments aux souffrances du doute et de la hargne, jusqu’aux éclats de rire, cet enfer est vivant, captivant et « parlant ».

 

Un « Huis Clos » magistral et audacieux, au rythme infernal et alerte qui sublime le cynisme et la force implacables du texte. Une interprétation exceptionnelle. Un spectacle à ne surtout pas manquer.

 

 

Spectacle vu le 2 février 2020,

Frédéric Perez

 

 

 

De Jean-Paul Sartre. Mise en scène de Jean-Louis Benoit. Collaboration artistique et régie générale de Antony Cochin. Lumières de Jean-Pascal Pracht. Costumes de Marie Sartoux. Régie Lumière et son de Emmanuel Jurquet.

 

Avec Marianne Basler, Mathilde Charbonneaux, Maxime d'Aboville et Antony Cochin.

 

 

Jusqu’au 9 février

Du mardi au samedi à 20h30, le samedi et le dimanche à 17h00

 

Cartoucherie – Route du Champ de Manœuvre, Paris 12ème

01.48.08.39.74 www.epeedebois.com

 

Puis au théâtre Déjazet à la rentrée 2020

 

 

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