Entre la vérité des sentiments et la vraisemblance de leurs apparences, Marivaux n’a de cesse dans son œuvre et à nouveau dans cette comédie en un acte et en prose, de guetter les accrocs, de dénoncer les retouches et de faire taire les ravages menaçant la beauté du cœur. Une pièce de maturité écrite en 1739 où le texte est cinglant, cruel parfois, et bat en brèche la vanité et sa mauvaise foi, censurant toute façon de contournement de la noblesse de l’intégrité et de la pureté du sentiment amoureux.
Un marivaudage qui se fond dans une critique sociale et morale marquée, piquée de traits dénonciateurs sur les raisons qui motivent les élans amoureux, leurs enjeux de possession et de pouvoir, et les apparats qui les masquent. Un marivaudage qui n’est pas que drôle et qui ne s’encombre pas des accommodements de la bienséance ordinaire flanquée de mensonges singés et de sourdes manipulations séductrices. Le message de Marivaux est ici délibérément axé sur l’opposition entre l’être et le paraitre, entre le mensonge et la sincérité. Le langage y est truffé de tournures et de saillies qui font mouche et les situations apportent leurs lots de joutes, d’approches frontales ou feintes.
« La Marquise et Ergaste se découvrent une commune sincérité. Ils s’éprennent l’un de l’autre et font le projet du mariage en dépit des promesses antérieures qui les attachaient l’une à Dorante, l’autre à Araminte. Leur sincérité exaspère Lisette et Frontin, leurs valets, d’autant qu’elle dérange leurs propres desseins amoureux. Une alliance est conçue par les valets pour tenter de faire échouer le projet des maîtres… »
Les atermoiements des maitres sont confrontés au stratagème des valets. Les ruses et les minauderies changent de camp, Marivaux les laissent aux mains des domestiques qui au nom de l’amour, à leur tour, vont œuvrer.
Le parti-pris de mise en scène de Jean-Marie Ledo fait ressortir, au-delà de la causticité, un éclairage subtil du profond attachement de Marivaux à la noblesse du désir et de ses expressions comme aux attentions nécessaires pour qu’il ne soit pas galvaudé par des simagrées de circonstance. Une approche du texte au plus près, une analyse fine et volontariste de la veine dramaturgique de Marivaux, laissant le rire, le sourire et la réflexion cheminer ensemble. C’est très bien vu et c’est bien fait.
Les personnages sont toujours placés dans un espace permanent de représentation. Ce qui donne à voir « ce que cela leur fait », ce qui résonne chez chacun d’eux, que cela soit dit ou montré dans les situations prévues ou non par le texte. Ce choix situe le contexte de l’intrigue et la déroule dans sa plus grande transparence. Nous suivons pas à pas l’évolution des événements, les rebondissements et les effets des actions dans les interactions entre les protagonistes. La curiosité du public est stimulée tout le long par ce relief inédit du déroulement de l’intrigue.
La scénographie comme l’apport de parties musicales particulièrement bien choisies et placées, créent une ambiance teintée à la fois de réalisme et de symbolisme. L’épure de décors et d’accessoires dont les éléments utilisés sont suggestifs, centre l’attention sur les personnages, leurs intentions et leurs mouvements.
Tous les jeux sont perceptibles et convaincants, dirigés et cohérents. Ils sont donnés avec précision et engagement par les comédiens Olivier Ducaillou, Guillaume Kovacs, Maïna Louboutin, Jean-Marie Ledo, Michelle Sevault et Natacha Simic. Nous voici attentifs et pris par les regards échangés, leur trouble, leur vérité ou leur duperie. Par les corps en mouvements qui se cherchent ou fuient, qui se parlent tout autant que par des mots. Par les voix qui jaugent de leur intensité et de leurs nuances la véracité des sentiments, les meurtrissures de l’amour-propre, la hargne des attaques et l’effondrement des renoncements. Les comédiens portent le récit et le dessein de leurs personnages avec conviction et efficacité.
Un « Marivaux » remarquable, intéressant autant que souriant. Une mise en scène audacieuse et réussie. Une interprétation toute en entièreté. Un spectacle à savourer sans aucun doute.
Spectacle vu le 27 février 2020,
Frédéric Perez
De Marivaux. Mise en scène de Jean-Marie Ledo. Collaboration artistique de Florent Bon et Jérôme Viard.
Avec Olivier Ducaillou, Guillaume Kovacs, Maïna Louboutin, Jean-Marie Ledo, Michelle Sevault et Natacha Simic.
Les jeudis à 20h45 et les dimanches à 18h00
15 rue du Maine, Paris 14ème
01.43.27.88.61 www.guichetmontparnasse.com