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Créée en 1948, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, cette pièce aborde les principaux éléments de la philosophie de Sartre. La conscience de l’existence humaine par l’exercice de la liberté. La liberté de penser, de choisir et d’agir. Une liberté émancipatrice de l’ordre établi, pour l’homme comme pour la femme pour qui l’émancipation passe d’abord par la destruction du joug masculin.

Cet exposé des données essentielles est développé avec une facilité d’accès qui montre combien cet auteur, philosophe avant tout, est aussi un éminent dramaturge vulgarisant ainsi des idées qui pourraient sembler compliquées mais qui prennent, grâce à la représentation théâtrale, des atours adroits et captivants pour toucher le public le plus simplement qu’il soit.

Jules Lecointe signe une adaptation fidèle et avenante, et construit une mise en scène efficace et précise. Il fait ressortir tout autant l’intérêt philosophique et psychologique que les ressorts dramaturgiques de la pièce. Le spectacle témoigne de cette volonté de partage aisé des idées, auquel Sartre a toujours été attaché, en déroulant la progression quasi romanesque de l’argument avec une fluidité juste et adroite dans les jeux et les situations.

« Hugo, jeune militant d’origine bourgeoise, ne veut plus rédiger d’articles pour le journal du parti révolutionnaire, il veut agir ! Olga, sa protectrice, fait confiance à ce jeune exalté, Louis accepte alors de lui confier une mission dangereuse : il devra assassiner le secrétaire du Parti, accusé de trahison... »

Nous assistons, happés par le récit, au cheminement sinueux qui conduit Hugo à agir. Car il y a bien là un réel suspens entretenu par l’écriture et savamment restitué par sa mise en vie. Nous nous interrogeons au travers de ses atermoiements et des injonctions de son entourage sur la place du hasard et du doute, du pragmatisme et de l’idéalisme dans les choix qu’il se voit obligé de faire.

Sera-t-il le jouet fortuit de ses affects confrontés au hasard qui le surprend ? Saura-t-il maitriser le doute qui semble bruler en lui, floutant son entendement et modifiant sa perception du réel ? Au nom de quelle liberté donnera-t-il du sens à son existence ? Osera-t-il se salir les mains ?

Le réalisme naturaliste de la mise en scène, dans des effets de clairs obscurs souvent utilisés, renforce l’aspect « thriller » de la pièce et contribue à maintenir l’attention prégnante du spectateur quand bien même l’humour piqué de cynisme parsème le texte et vient soulager la tension ambiante.

Ce réalisme volontairement maintenu ne cantonne pas le récit dans une évocation datée à résonnance historique. Lecointe apporte une universalité au récit en introduisant des éléments contemporains. Deux accessoires empruntés à la technologie des dernières années, que nous ne nommerons pas pour laisser le plaisir de la découverte, comme l’utilisation, volontaire ou non, d’une comédienne pour jouer deux personnages masculins, banalisant ainsi l’importance du genre, indiquent avec évidence combien les propos forts et intrusifs de Sartre sont et resteront toujours actuels.

L’interprétation nous cueille et ne nous lâche pas. Les jeux sont remarquables, engagés, fougueux et généreux, faits de force et de subtilité, de variations bienvenues et à point nommé dans les émotions. Maïana Etxeberri, Aïda Hamri, Léa Marie-Saint-Germain, Noé Pflieger et Bastien Spiteri (et Léo Derumeaux et Thomas Rousselot en vidéo) composent une distribution complémentaire, crédible et convaincante. C’est superbe.

La pièce est passionnante, le spectacle l’est aussi. Adaptation, mise en scène et interprétation sont au rendez-vous de cette belle proposition d’une œuvre trop peu souvent donnée. À voir sans hésiter.

 

Spectacle vu le 24 mars 2022

Frédéric Perez

 

De Jean-Paul Sartre. Adaptation et mise en scène de Jules Lecointe. Scénographie de Pauline Phan. Conception des décors de Arthur Duvillaret. Costumes de Malou Galinou. Conception vidéo de Barthélémy Fornier De Violet. Visuel de Camille Talon.

Avec Maïana Etxeberri, Aïda Hamri, Léa Marie-Saint-Germain, Noé Pflieger et Bastien Spiteri.

En vidéo : Léo Derumeaux et Thomas Rousselot.

 

 

Jusqu’au 3 avril

Du jeudi au samedi à 20h30 et le dimanche à 15h30

(relâche le 31 mars)

6 avenue Maurice Ravel, Paris 12ème

01.44.75.60.32  www.theatredouze.fr

 

Photo © Cléa Hance

Photo © Cléa Hance

Photo © Cléa Hance

Photo © Cléa Hance

Photo © Cléa Hance

Photo © Cléa Hance

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